Formes populaires
et émergences culturelles
Carnaval Bordeaux - mars 99
rapport réalisé
À loccasion de létude des actions culturelles
menées par lassociation Musiques de Nuit
en convention avec la préfecture de région aquitaine S.G.A.R.
Recherche en sciences sociales
Hugues BAZIN
5, rue du Guichet - BP 67 - 92114 CLICHY Cedex
tél : 01 47 30 00 83 fax : 01 47 30 36 21 email : hbazin@club-internet.fr
Sommaire
Avant propos *
Pensées Carnavalesques *
Visibilité dune forme populaire *
Émergence *
Lautre coté de leau *
Espaces non attribués *
Chemins dartistes *
Contenu, contenant Container *
Parcours autodidactes *
Continuum de lAtelier-résidence *
Reprendre la rue *
Projet esthétique et sensibilisation *
Amateurs et professionnels *
Principe de résidence *
Nature de lactivité artistique et sociale *
Commande et liberté *
Cadre résidentiel et cadre événementiel *
Relais *
Public captif, public actif *
Lunivers de latelier *
La réciprocité du don *
Le rapport au travail *
La scène de latelier *
Work in progress *
Expérimentation pour les participants *
Expérimentation pour les artistes *
Le bas et le haut *
Rencontres artistiques *
Poids des formes et choc des esthétiques *
Rencontres et Interdisciplinarité *
Nouveaux référentiels *
Référentiel populaire *
Référentiel artistique *
Lieu culturel *
Pour conclure *
Ce document, bien que rédigé à loccasion du Carnaval Musiques de Nuit de Bordeaux de mars 99 nest pas simplement un texte sur le carnaval. Nous avons profité de ce support événementiel pour rencontrer un certain nombre de personnes, principalement les artistes intervenant dans les ateliers et mettre en lumière quelques éléments relatifs aux émergences culturelles et formes populaires.
En effet, évaluer la portée dune opération comme le carnaval na de sens qui si justement nous nous éloignons du caractère strictement événementiel pour nous attacher à des processus qui dépassent lévénement mais que lévénement peut mettre en lumière. Pour nous lévénement et plus largement les actions entreprises sont des supports pour rendre visibles des mécanismes de fond qui ne sont pas uniquement tributaires de telle ou telle circonstance.
Ce rapport nest pas non plus le rapport intermédiaire dun rapport final, dont le sens dépendrait dune synthèse à venir. Il développe sa propre logique, il réalise un cycle complet et peut être lu comme rapport indépendant du reste de létude. Tout en défendant la cohérence dune approche complète, ce document est cependant limité dans le temps et dans lespace par le cadre même dont il tire ces matériaux, lévénement du carnaval.
Ainsi, plutôt que denvisager un rapport final sanctionnant une fin détude, nous concevons le travail détude comme un livre ouvert composé de plusieurs chapitres, dont ce premier document, sachant que le livre entier nest pas une simple juxtaposition de chapitres disparates. Un fil conducteur les réunit, aussi lensemble nest pas égal à la somme des parties. Cela nous permet de présenter le principe de notre approche et la manière dont nous procéderons tout au long de notre travail.
La rédaction obéit au même schéma narratif que nous pourrions résumer par larticulation de trois thèmes principaux : la description des formes populaires dans la compréhension des processus socioculturels fondamentaux qui laniment, la rencontre entre lart et le social en particulier à travers le principe datelier-résidence, laccompagnement au développement social et culturel.
Si le plan rédactionnel reste le même, les angles de vue changent. Ainsi pour ce document, lié aux circonstances événementielles du carnaval, nous avons privilégié la dimension datelier-résidence dans les quartiers populaires à travers le regard dartistes. Nous profitons ici pour les remercier vivement de la disponibilité, patiente et générosité dont ils ont fait preuve. Lintérêt est de continuer le travail en croisant les regards entre eux.
Cet emboîtement de cycle, dintersection et dinclusion de cercles participe à la méthodologie de recherche. Ce qui peut paraître complexe nest que le reflet de la complexité de la vie sociale et culturelle que nous désirons capter en mouvement et non figé dans des catégories et des objets prédéfinis. Nous espérons ainsi parvenir au sens dune totalité que nous retrouvons à travers les termes de forme populaire, émergence culturelle, espace urbain, etc.
Lesprit de recherche est moins préoccupé par la légitimation dun savoir que par la contribution à son développement. Au-delà dun questionnement sur les méthodes et principes des sciences, lobjectif de toute recherche est de favoriser le partage dune connaissance.
Nous aimerions participer à louverture dun champ prospectif, la construction despaces susceptibles de favoriser cette pensée en mouvement. En cela, ce document se conçoit non comme un produit " prêt à consommer " mais comme outil de travail sollicitant des interactions et des analyses.
Un cadre général oriente ce mouvement, un fil conducteur torsade deux éléments lun autour de lautre :
Lobjet de létude qui porte sur les activités de développement culturel et artistique menées pas Musiques de Nuit sur Bordeaux et sa région.
La problématique de recherche (voir schéma narratif) qui touche à la relation entre art et social dans la compréhension des formes populaires et leur mise en visibilité, c'est-à-dire leurs émergences.
Il ne sagit pas simplement de préciser lobjet dune évaluation mais la manière dont nous pouvons aujourdhui construire un jugement ou une appréciation. Bref, il sagit ici de comprendre comment sélaborent de nouveaux référentiels susceptibles daccorder un jugement sur la réalité.
Nous ne sommes pas simplement dans le cas de figure dune recherche action où le chercheur est directement impliqué en tant quagent de changement dans les opérations de mise en place du projet et réciproquement où les acteurs du projet participent activement à lélaboration et à la réalisation des procédures de recherche. Nous aimerions dépasser la relation duale entre chercheur-évaluateur et praticien-acteur pour entrer dans ce système relationnel impliquant lensemble des participants à une situation. Nous pourrions parler alors non de recherche de terrain mais de recherche en situation.
Pensées Carnavalesques
En guise dintroduction, quelques regards croisés sur le carnaval.
" Le carnaval est une fête qui, à vrai dire, n'est pas donnée au peuple mais que le peuple se donne à lui-même. On donne seulement ici le signal que chacun peut être aussi déraisonnable et fou qu'il le souhaite, et qu'en dehors des horions et des coups de couteau, tout est permis. La différence entre les grands et les petits semble abolie pendant un instant : tout le monde se rapproche, chacun prend légèrement tout ce qui lui arrive, l'impertinence et la liberté réciproques sont contrebalancées par une bonne humeur générale " (Goethe, Le Carnaval de Rome en 1788, Voyage en Italie).
Alliance des contraires, désordre et ordre, libération et soumission, communion et différentiation, règle et dérèglement, renversement du monde et inscription dans le temps de la tradition, " tout processus social se joue entre les deux extrêmes de la mobilité et de la fixité institutionnelles absolues ; le carnaval figure centrale du renversement est ainsi le lieu privilégié du retournement temporaire afin que chacun soit magiquement convaincu de la juste place quil occupe dans la société ".
Shoota Babylone
Au III ème siècle av. J.C. à Babylone à la fête des Sacées au mois daoût les serviteurs donnent des ordres au maître, les servantes marchent à la hauteur de leur maîtresse, le puissant est ramené au rang du commun, un prisonnier revêt les insignes du roi et sexhibe sur son trône tandis que le roi perd son titre. A la fin le souverain fictif est mis à mort à la place du roi. Humilié, le roi est de nouveau consacré, la volonté des dieux est confortée, lordonnancement du monde est restitué.
Le propre du mythe est dêtre atemporel et de resurgir de manière cyclique, chargé dune signification renouvelée par lactualité contemporaine. Babylone nous revient par lentremise des raggamufins et rappeurs : " Quand on parle de Babylone, on le prend comme symbole / Pour illustrer le monopole quexercent les structures dirigeantes en métropole / A légard des minorités qui forment une majorité sur le globe ".
Entre rappel des origines et portée messianique, le carnaval historiquement est une liberté instituée mi-païenne mi-religieux dans le temps et dans lespace entre Épiphanie et carême. Certains se prennent à rêver que ce renversement ordonné, cette contestation du pouvoir confirmant le pouvoir, arrête à mi-chemin sa révolution dans une dangereuse instabilité, un renversement sans retour. Lillusion de la fête veut que la vie soit un rêve et le carnaval réalité, mais si, dans cette indécision des sens, cette illusion généralisée, se prenant à rêver la vie le rêve devienne réalité ?
Mais la liesse et leffervescence populaires apparaissent toujours suspectes aux yeux des autorités, les commémorations et autres événements en lhonneur des arts et de la culture viennent les encadrer. Le pouvoir nous rappelle toujours une bonne raison de fêter sa générosité. Du roi à létat, la richesse des mécènes sexpose aujourdhui dans une profusion de manifestations déambulatoires, fête dun nouvel ordre social derrière la consécration des " cultures urbaines " ou projet culturel et citoyen refondateur à travers laccompagnement des émergences populaires ?
Déambulations
" Mais, une fois l'effervescence retombée, le dernier bûcher éteint, les masques abandonnés, la fête reste pour une part prisonnière de ce présent qui l'a engendrée. Elle s'éloigne d'un coup de ses acteurs, elle ne leur laisse que des souvenirs éparpillés ". Après tout, la fête est éphémère, loublier est une manière de la recommencer et de la renouveler. Quand le rituel est institué, la surprise programmée que reste-t-il de la conquête physique et symbolique dun nouvel espace, de cette récupération de la rue aux voitures, aux gens pressés, à lesthétique lisse de la ville moderne et au vide social des voies urbaines propres et ordonnées ? Circulez, il ny a rien à voir !
Derrière le label " parade urbaine " se cachent des réalités bien différentes. " Ces événements ont en commun dêtre des défilés réalisés en plein air, dans une ambiance de fête et qui revendiquent un caractère populaire ". Simple mode impulsée par lindustrie culturelle (effet Mondial garanti !), opération de communication de la puissance publique à la recherche du chaînon manquant avec la rue, scénographie exotique des banlieues par des artistes en mal de reconnaissance ou mise en visibilité dune aspiration citoyenne profonde, revendication dun droit à la culture, expressions dun nouveau rapport du particulier à luniversel dans la rencontre plurielle des formes et des esthétiques ?
La réalité semble toujours plus complexe quun schéma binaire et sans doute des éléments de réponse sont à trouver au sein de cette opposition.
Du Sud au Nord
Colporté dEurope vers lAmérique par les conquérants, en fait partout où le christianisme a converti, le carnaval nous revient.
" Venant du Sud laspect populaire de lart nest pas encore récupéré ni par les lobbies, ni le politique, ni toutes les formes existantes et trouve ici crédit auprès des personnes populations et collectivités marginalisées qui nont pas accès à lartistique, à qui lon présente lart comme quelque chose dinaccessible, complètement hors de leur portée. " (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
" Le carnaval de Rio qui est connu et reconnu dans le monde entier, ce nest pas vraiment le carnaval que nous les gens, les citoyens, on aime. Bien sûr quon adore lécole de samba, cest notre histoire, se sont de grandes écoles, mais ce nétait pas de ce style. La dernière fois que je suis sortie de lécole de samba javais 15 ans, javais défilé dans une école, à lépoque, je me rappelle quà la fin du parcours, je navais plus de pieds et je ne les sentais plus, tu danses, tu danses cest vraiment une folie cette épreuve Cétait vraiment la fête, ladrénaline, et le carnaval sest transformé un peu, le carnaval cest comme le football, il est médiatisé, il est sponsorisé. Chaque année la date, cest une fête païenne mais le calendrier est fait par léglise qui suit les calendriers danciens carnets païens. On a beaucoup de légendes, de proverbes très brésiliens qui parlent du carnaval, de la misère que lon a subie chaque jour de lannée, mais on passe lannée à bosser, à rêver de ces trois jours où cest vraiment le délire, on vit une année entière pour vivre vraiment les trois jours. On oublie tout, on est qui on voudrait être, on en rêve lannée entière. On a eu une dictature très très forte, on ne pouvait pas sexprimer de tout. Le carnaval, tout le monde est égal, il ny a pas de différence. Aujourdhui, une école de samba a entre 3500 et 5000 personnes et cest partagé par blocs, par groupes de gens déguisés tous pareil, qui racontent une partie de cette histoire ensemble, ils chantent tous les mêmes morceaux écrits pour ce défilé là, pour cette situation là, alors chaque groupe est habillé, déguisé, cest un morceau de lensemble, tout fait partie de lensemble, et ils ont passé une année entière à préparer, cest comme un opéra ". (Wal - Costumière)
" A Cuba le carnaval nest pas du tout pareil, cela se prépare bien plus à lavance, plusieurs mois à lavance, chaque quartier prépare son défilé et répète un mois à lavance avant le jour J, donc rien nest comparable par rapport à ici, mais je nai pas encore vu le défilé. " (A. Castillo Penalver, Banda de Santiago de Cuba)
" Le carnaval ne se passe pas de la même manière en Afrique, puisque là-bas cest une fête un peu religieuse qui coïncide, avec la fin de lannée musulmane, les gens le font dune manière traditionnelle, on fait du couscous, on nous donne de leau bénite, à boire, à mettre autour du cou, les gens se déguisent, les filles se déguisent en garçons, les garçons en filles, on fait des masques quon porte, on va demander laumône dans les maisons à gauche et à droite et puis on se regroupe, on fait une petite popote, on mange ensemble et cest surtout le soir que ça se passe, dans la nuit, ici, le défilé se fait le jour. " (Casset, Cie Côté Jardin)
En tant quafricains on est habitué, les danses en apothéose en Afrique en attestent, on a fait la performance des statuts, des masques, toute cette folie pour accompagner toute une journée ou une semaine entière une danse, cest déjà participer à leffervescence de toute une communauté. On a cette habitude, je dirai simplement quà léchelon du carnaval de Bordeaux ce serait autre chose parce que non seulement les environnements sont différents, les facteurs de réussites sont un peu plus étoffés et cest déjà un avantage. (Nabisco, plasticien)
Carnaval du samedi ou dimanche ?
Ce qui semble important de souligner derrière la thématique du carnaval est moins de savoir si elle sinscrit ou non dans une filiation historique, mais le rapport quentretient la population et les intervenants artistiques à cet événement.
Le carnaval se conjugue donc au pluriel. A bordeaux même il y a deux carnavals : le populaire (le samedi) et lofficiel (le dimanche).
" Moi jai fait le carnaval depuis quelques années, en solo. Je le faisais spontanément et cest un immense bonheur de faire ça spontanément, de se mettre trois bidons sur la tronche, cest formidable, cest le fou du roi on fait ce que lon veut ce jour là. Jai participé au carnaval du samedi, au carnaval du dimanche, je fais des carnavals dans dautres petits quartiers parce que mes enfants y participent, chaque fois jai fait leffort de me déguiser, de me faire le petit truc de percussion, de déguiser mes enfants, il faut vraiment faire un effort sur soi-même pour passer pour le pitre, le clown, vraiment. Le carnaval du samedi est vraiment très spontané, vivant et le carnaval du dimanche ce sont les gens derrière les barrières, comme à Nice, cest labomination le carnaval de Nice pour cela. Cest le côté Disney Land que je ne supporte pas, les gens qui sont massés derrière les barrières, on les fait payer, ils applaudissent bêtement les chars, là ce qui est bien cest que tout le monde puisse se déguiser et faire la fête, cest ça qui est bien dans le carnaval, que ce soit la fête pour tout le monde. Je dois faire des clés. Se sont les clés de la ville que le maire remet symboliquement lors du défilé, si on te remet les clés cest que tu as le droit de faire ce que tu veux. " (Jacques Franceschini, plasticien)
Quelles sont les clés du carnaval ? Quels espaces ouvrent-elles sur la ville ? Quelles compréhensions des formes populaires offrent-elles ? Quelles implications des artistes permettent-elles ?
" Le carnaval, cest la première fois que je le vis et je ne me limaginais pas ainsi, je pensais que tout le peuple serait impliqué dans une espèce de célébration de la ville. " (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
Alors, folie carnavalesque ou défilé raisonné ? Le carnaval garde une part de mystère et de magie qui échappera toujours à toutes velléités de contrôle. Cest peut-être la spécificité du carnaval doffrir plusieurs niveaux de lecture où se télescopent sphère individuelle et sphère collective.
Le défilé carnavalesque du samedi coordonné par Musiques de Nuit comporte ces différentes dimensions de lunivers festif techno à la tradition des sonneurs de cloche basque en passant par la parade hip-hop, la présentation des ateliers enfants des centres danimation et le travail des plasticiens. Autant également desthétiques auxquelles a contribué le travail dartistes en résidence durant la préparation.
La sphère individuelle propre à la modernité consacre le retrait sur lunivers intime. Chacun y trouve son compte et son plaisir, sy fait son propre cinéma. Mais il existe aussi une dimension collective, en loccurrence celle qui renvoie à une appartenance populaire sans pour autant senfermer dans un repli communautaire, social ou territorial.
Anciennement mouvement pendulaire rythmé par les rites et les saisons, la géométrie du sacré et le déroulement de la nature, quel nouveau rythme bat aujourdhui dans lapparition cyclique dun tel événement ?
Ce qui est sûr, cest limportance à la fois de préserver antagonisme et consensus, marge dimprévus, dincertitudes propres à lévénement et inscription temporelle que le carême ancien ritualisait.
Cest une répétition annuelle, le retour dun besoin immuable : loccasion de renouer les destins, de remettre à neuf des rapports sociaux, de réaffirmer les liens qui unissent un groupe, de rejouer le commencement entre redécouverte du passé et confirmation de lavenir. Ce qui contribuerait à mieux connaître, comprendre, préciser les contours dune forme populaire contemporaine comme rassemblement déléments disparates dans une totalité productrice de sens.
Visibilité dune forme populaire
Nous pourrions définir une forme comme un mode de structuration des individus et des rapports sociaux qui dégage sur sa surface, c'est-à-dire sur sa face éclairée une esthétique. La forme est donc une manière de lier ces deux dimensions habituellement mises en opposition : lapparence de la surface et la profondeur des processus.
Les processus dintégration, de socialisation, dindividuation participent à ces modes de structuration fondamentaux de la société. En corollaire lesthétique correspond à une " vie " des formes ou mouvement de style chargé de sens (même si une mise en circulation par lindustrie culturelle peut décharger les formes de leurs sens en un simple effet de style, ce qui conduit à bien des confusions).
La force esthétique caractérise ce mouvement qui engage les individus dans lélaboration dune forme et la prise de conscience dun sens à leur existence.
" Pour nous qui venons dun milieu urbain, dun milieu défavorisé de cités cest notre deuxième école, cest lécole de la rue, cest là que lon sest éduqué, cest là que lon a appris le langage, cette culture là nous permet d'aller voir ailleurs, de souvrir sur dautres techniques, dapprendre pourquoi, comment ça vient. Moi je ne suis pas un gars qui lit beaucoup de bouquins mais dès que ça touche ma passion je mintéresse et cest par ce biais là quon sent quon est capable de faire des choses et on transmet aux jeunes qui ont un esprit négatif qui ont baissé les bras qui nont plus envie de se battre, qui nont plus envie de chercher du travail qui préfèrent la facilité, nous a envie de leur dire : Prenez-vous en mains, faites quelque chose. Il y a une culture, la culture hip-hop, ils sy retrouvent puisquils écoutent ça au niveau de la musique, en ce qui concerne tous les éléments ils connaissent, alors approfondir. Pour ceux qui se sentent des talents dans un pilier de la culture hip-hop, à travers des ateliers on essaie de les emmener et on apprend la vie à travers ça, on apprend le défi, on apprend le combat, on apprend à relever la tête parce quil y a des moments qui sont durs, il y a des moments où il ne faut pas lâcher, cest ça constamment qui fait quon se retrouve. " (Hamid - Cie Révolution)
Une manière donc de caractériser une forme populaire est de comprendre la culture comme une totalité sans séparation entre dimension artistique et sociale, processus et esthétique. Cest ainsi que sest développée la forme le hip-hop, par pôle esthétique structurant un mouvement.
" Il ny a de culture que populaire et puis elle est toujours rattrapée finalement et puis après on ne sait plus où elle est la culture populaire elle est enrichie peut être, je ne sais pas trop, comme le sacré devient toujours du profane et inversement. " (Jacques Franceschini, plasticien)
Difficile effectivement de dire où commence et où se termine une forme populaire. Habituellement le cadre des processus (cadre primaire) se développe hors de lunivers perceptible, lesthétique est une manière de les mettre en lumière et lintervention artistique ouvre un espace de rencontres privilégié où certains processus peuvent devenir visibles (cadre secondaire).
Lémergence constitue alors lespace-temps précis de cette mise en visibilité. Le passage privilégié où il est possible de capter ce battement de la vie, cette pulsation de la forme. Une forme peut donc émerger de différentes manières et connaître le long de son développement plusieurs types démergences, de vies et de morts.
" Émergences, le mot le dit très précisément, est le moment où apparaît en surface ce qui s'est longuement préparé, immergé, au cours d'un processus, d'un parcours. C'est une manifestation du processus en même temps que son résultat ".
Lintervention des artistes dans les ateliers pour la préparation du carnaval provoque déjà une première mise en visibilité du " peuple de lautre rive ". Lautre coté de leau sont les termes quemploieraient des habitants du centre ville pour évoquer la partie de lagglomération bordelaise située du côté de la rive droite de la Garonne.
" Est-ce que ça va bien se passer le contact, jai fait la formation dencadreur avec les gamins mais ce nétait pas évident que ça marche avec les gamins qui sont ici dans ces quartiers réputés très chauds, un peu violents. Jai été surpris que ça soit bien passé. Il suffit tout juste de les comprendre, peut-être quil ne faut pas leur demander de se concentrer pendant deux heures, il y a en a certains qui sont un peu turbulents mais le fait de les laisser faire, il y a des gamins qui sont intéressés, qui sont prêts à aller jusquau bout, qui sont concentrés, hyper motivés, qui réagissent bien. " (Casset, Cie Côté Jardin)
" Et ce qui était bien et ce qui ma fait un petit peu peur parce que je connais un peu les banlieues en France où lon se fait des idées sur les jeunes, sur les quartiers et quand tu arrives sur place tu découvres autre chose. Il y a des clowns qui arrivent, tu les vois là, à rigoler, ils ne sortent pas de la salle, ça les intéresse, ils écoutent. Quand on voit ce peuple là qui est décrit par la radio, la télé et tout, et qui dit : oh cétait bien, frère ! Cest vrai quil y a une fausse idée là-dessus à revoir, quil y a plus de choses à amener chez ces gens là parce quils ont une capacité à recevoir quon ne peut pas soupçonner, que beaucoup de gens ne soupçonnent pas, même nous en y allant, on part avec des préjugés inculqués par le bien-pensant : on va arriver, on va être hué ou bien à la fin ils vont te dire : allez, cassez-vous, alors que jamais ces gens là ont eu ce type de réaction, jamais, on a toujours vu des gens qui ont voulu après même partager. " (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
Si nous jouions sur la métaphore nous dirions que leau ne serait pas ce qui sépare mais également réuni, après tout leau est symbole de la vie et il ny a pas dautres meilleures façons de parler de la fluidité de la vie dans le mouvement des formes que dévoquer la force impétueuse dun fleuve où lartiste navigateur de rives en dérives sexerce à passer les frontières. Mais nous pourrions pousser encore un peu plus loin lallégorie et dire que leau comme un miroir renvoie notre propre visage, que la confrontation à laltérité nest que la découverte de lautre en nous même, bref que les formes populaires nappartiennent pas aux banlieues mais possèdent le caractère universel de renvoyer à des questions de société.
" On est jeune, on nous prend souvent pour des zoulous comme on dit, des voyous qui ont un projet hip-hop, des singes qui tournent sur la tête. On insiste là-dessus, quand on fait du rap les jeunes savent quils font du rap, quand ils font de la danse hip-hop ils savent quils font du break, du boogaloo, ou du up-rock quand ils touchent aux platines ils savent quils sont en train de mixer, scratcher et quils essaient de comprendre le langage au niveau du graff, du trait, de la peinture. Il y a un langage qui est là et qui sest installé dans toutes les langues parce que cest pour tous les pays, cest universel mais les gens qui voient ça par les médias, par la télé, ils sont un petit peu perdus, ils mélangent un peu tout, il y a cette technique là ce nest pas du rap ; le rap cest ça, cest le chant, voilà toutes les techniques décriture, de travail. La danse ce nest pas simplement tourner sur la tête, à travers la danse on fait prendre conscience à des jeunes et puis on les unit, à travers ça ils retrouvent des valeurs, il y a une notion de respect où tout le monde essaie de se respecter soi-même et de respecter les autres, être positifs dans la vie parce quils savent que cest un combat quil va falloir avancer. Nous sommes dans des endroits là où ça pète, il y a la misère, il y a le chômage, il y a lexclusion il y a plein de choses, cest très dur pour des animateurs dêtre confrontés à des jeunes qui ont la rage qui sont violents qui ont la haine, qui ont envie de montrer quils existent et qui ne peuvent pas parce ce quils se disent quils ne sont capables de ne rien faire, la plupart des jeunes sentent quil ny a plus rien à faire, ils ont envie de tout casser, et ce nest pas la bonne solution. Souvent quand je vois au niveau des médias les reportages cest la haine, la rage, la violence et ils prennent tout le temps ces mêmes clichés, il faut que ça change, il faut quils puissent rassurer les gens parce que cest ça qui fait peur aux gens, qui se disent quil y a de la délinquance quil y a de linsécurité, quils ne se sentent pas à laise et demandent plus de renforts, plus de police, ça ne va rien changer ce nest pas ça, cest donner une meilleure image et faire prendre conscience aux jeunes quils peuvent jouer un rôle important dans la société et quils sont citoyens, il faut arrêter de leur dire quils sont étrangers, ils sont nés ici, la seule chose cest quils nont pas la même couleur, ils ont tous différents parcours. " (Hamid - Cie Révolution)
Dune définition exogène dun cadre dactivité où la banlieue nest présentée quen termes de problèmes, il sagit de définir autrement la nature de lactivité qui se trame à lintérieur dune forme, quil sagisse du rapport à la ville, au travail, à la culture.
Le croisement des regards dartistes peut nous y aider car nous nous heurtons à une question de connaissance. Par exemple, la " rue " na dexistence que dans sa définition urbanistique de voie urbaine, ou sinon à de rares occasions particulièrement événementielles et médiatisées de manifestations émeutières... mais jamais comme cadre primaire où sélabore une forme populaire.
Le rapport à lespace et au lieu est différent suivant les pays. En France la rencontre avec la population des quartiers populaires ne semble possible sans le tramage de structures de proximité, de divers relais ou médiations. La rue est pourtant habitée.
Ce que nous appelons " cadre primaire " est le lieu de cet échange premier où se développent des rencontres, initiation et transmission, échange et réciprocité, mobilité et réseaux. Ces lieux ne se restreignent pas à la voie urbaine ni même à un territoire précis comme celui du quartier. Les lieux sont là où se passe quelque chose et où se développent des processus. " L'espace public est un espace physique ouvert qui a des dimensions que l'on ne trouve nulle part ailleurs. L'espace public est un espace de vie qui a sa mémoire, fossile ou en devenir, et des fonctions diverses. C'est l'espace de gens qui, comme vous et moi, l'occupent et le font vivre, l'animent, au sens vital du terme. L'espace public de la ville est l'espace collectif naturel de la population ".
Lespace public sentend habituellement, certes comme un espace ouvert (par opposition à espace privé) mais un espace déjà chargé de signes, aux fonctions dusages institués. Le maillage des lieux dont nous parlons tisse un autre espace public, espace de vie accessible à tous dans le sens où il nexiste pas de pré définition des lieux en dehors de la situation quils génèrent et de lactivité quils créent. La " rue " se comprend dans cette acception. Ce nest pas un lieu " fait pour ça " une fonction sociale ou artistique précise avec une forme et une esthétique déterminée.
Les fêtes déambulatoires et leur préparation nous rappellent peut-être que la rue est la première scène dun spectacle où il ny a pas de différenciation entre population et " public " et de distanciation entre population et scène artistique.
" En Afrique, la rue est habitée et le contact peut exister. Il y a moins de conformisme, tu passes dans une rue, que tu connaisses les gens ou pas ils te disent bonjour, tu discutes, tu peux aborder nimporte qui, nimporte quand pour discuter avec lui de nimporte quoi. Ici ce nest pas le cas et le seul contact avec les gens des cités surtout cest sur la scène. Le théâtre va beaucoup plus loin aussi en Afrique, on se permet de descendre dans le public, daller voir les gens, ça les fait rire et cest chaleureux ce que lon ne retrouve pas dans la vie, des fois ça permet un contact beaucoup plus franc. Ici les gens nont pas coutume de parler à nimporte qui. " (Casset, Cie Côté Jardin)
" La rue, cest une perpétuelle scène de théâtre, en Afrique, il y a tellement dactivités qui se passent dans la rue que parfois même on peut avoir une vision un peu théâtralisée de la vie de la rue tellement il y a des spectacles qui sont informels qui sy passent tout le temps, donc la circulation, les marchands, les piétons, tout est prétexte à échanges et à communication. La rue est perpétuellement assiégée par différentes formes dexpression, tout est prétexte à pouvoir voir ou entrevoir des scènes de musique, de théâtre ou la vie tout simplement qui est en fait une énorme comédie. Ce qui diffère ici cest quun spectacle de rue, il demande un minimum de structuration, il y a déjà une connivence entre lacteur et son public, il vient, il sinstalle, il invite le public à venir consommer son spectacle comme si cétait dans un lieu fait pour ça, donc cest là que peut être réside la différence. " (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
Surdéterminé ou non attribué, lespace est rarement perçu comme lieu de connaissance et du chemin reste à parcourir pour arriver à une préhension et une compréhension des formes populaires. Cela représente peut-être un défi à relever par tous et pour tous dans les années à venir.
Ici nest pas mise en cause sur un plan individuel la qualité et la compétence de ceux qui sont amenés à prendre en compte une réalité sociale et culturelle dans le cadre de leur travail. Cela souligne principalement la nécessité détablir de nouveaux référentiels, c'est-à-dire de nouveaux réseaux relationnels pour juger de la réalité daujourdhui.
Le caractère événementiel du défilé de rue et le travail préparatoire dartistes en résidence, représentent deux modalités et occasions dune mise en visibilité dune émergence. Tout en relevant ce paradoxe propre à limplication médiatique dune manifestation événementielle qui se focalise durant quelques jours sur le cadre dune activité sans accéder au lieu dune rencontre. La qualité des émergences mériterait pourtant autant de sollicitude le reste de lannée.
Bien souvent la forme populaire est abordée et réduite à des tendances esthétiques et des mouvements deffervescence. Dans son émergence, nous nous apercevons que lesthétique nest que la partie visible de liceberg. Et cest larticulation entre ce qui se voit et ce qui ne se voit pas qui donne du sens au mouvement de la forme. Lémergence se place à larticulation de plusieurs chemins et espaces. Elle met en lumière des formes populaires, précise des esthétiques et entre les deux, populations et mouvements de styles, se dessinent des trajectoires dartistes posant à la fois une exigence artistique et un engagement social.
Louverture officielle des préparatifs du carnaval à lieu au " Container ", immense hangar dans le quartier de la Bastide non loin de la rive droite de la Garonne. Anciennement entrepôt de containers, le lieu est aménagé pour recevoir le travail des plasticiens, des habilleuses et le centre opérationnel de la manifestation.
Les locaux où travaillent les costumiers sont dans des bureaux surélevés à lintérieur du hangar. Dune baie vitrée nous dominons tout lespace du Container. Pépito et Wal saffairent, travail minutieux, Pépito colle point par point des bandes en matière plastique argentées qui iront se poser sur une armature métallique en forme dailes de papillons. Se seront les habits du roi et de la reine du carnaval.
Latelier de Wal dans un petit bureau, est une caverne de limaginaire. De costumes à moitié défaits, de coiffures en miettes, de matériaux les plus divers (tissus, paillettes, plumes dautruche) naîtront bientôt des habits de lumière confectionnés avec des outils les plus rudimentaires, un peu de colle et une paire de ciseaux. Ils viendront rejoindre ensuite dans une pièce à coté les autres habits du carnaval venus directement du Brésil.
En journée, le Container ressemble à une ruche, agitation laborieuse rythmée par le travail des artistes.
Jacques Franceschini et ses sculptures composées de matériaux de récupération, roues de vélo, couvercles de boîtes, bidons en tous genres. Au centre trône larmature de ce que sera monsieur carnaval. Originalité, cette année, il ne sera pas brûlé en fin de parcours mais servira de base de lancement à un feu dartifice au-dessus de la Garonne, mise en scène par Jacques Pasquier dans un hélicoptère. Bien quimmobiles et stables les pièces donnent limpression dun déséquilibre perpétuel, dun mouvement jamais achevé à limage de la circulation des personnes dans le Container à la fois ordonnée et fluide. Des enfants sexercent à peindre des boites de fers.
Cette fluidité du mouvement, nous la retrouvons dans le travail du graffiti-artist Blade et ses fresques peintes à la bombe aérosol, lettrages et personnages décorent lenceinte. Il y a le tableau qui décorera le char hip-hop avec les deux slogans de la scénographie des danseurs : " pur hip " et " pro hop ". Il y a ces petits personnages eux aussi dans la tradition hip-hop, peints dans le sens de la hauteur sur des supports rectangulaires. Certains de ces personnages exécutent des figurent de break, dautres jouent de la musique jazz afro cubaine, dautres encore en habits de clowns. Se sont toutes les expressions artistiques développées dans les ateliers du carnaval qui sont représentées. Une manière aussi de dire que les intervenants venant des quatre coins du monde participent à la construction dun même univers. Ces calicots seront accrochés aux lampadaires de la ville, deviendront la signalétique balisant le parcours du carnaval. Dans un coin Blade aide un enfant à découper des formes dans du carton pour réaliser des pochoirs à la bombe.
Les bandes de tissus colorées de Nabisco, elles, iront décorer le hangar 5 où se déroulera la soirée de clôture du carnaval. En attendant, elles sétalent sur le sol et renvoient la lumière dans un jeu dopposition de couleurs, peintes et travaillées suivant le principe du collage.
Ainsi tout le volume du hangar est habillé sur ses trois dimensions. On ne sait où donner du regard. Le travail des plasticiens ne fait pas que décorer cet immense lieu, il crée de lespace habité, une présence de lactivité humaine de ce que les yeux voient mais aussi imaginent.
Pour louverture officielle du carnaval, une scène est montée dans le Container, loccasion pour les autres artistes qui interviennent dans les ateliers dexposer leur travail.
Les comédiens de la troupe Côté Jardin ouvrent la danse. Les quatre clowns sénégalais posent leur jeu de rôle autour du thème de la propreté, une métaphore du monde. Dialogues percutants dans tous les sens du terme entre le roi et son entourage quil veut engager en tant que soldat contre la saleté. Une troupe bien difficile à discipliner, les cabrioles senchaînent. Chacun utilisant la morphologie de son corps dans des torsions surprenantes. Sensuit un chant bien peu militaire.
Le roi sadresse au public et présente la mission de la troupe bigarrée : " voici les soldats de propreté, nous allons nettoyer Bordeaux et ses environs, voici notre mission ". Loccasion de présenter le programme de lassociation : " Coté jardin, coté enfants, cest pour le rire et le sourire, pour la joie et le bonheur " Soldats Fixe ! La petite troupe ségaille, quitte la scène, emportant dans une caisse les outils qui serviront à accomplir leur uvre.
La compagnie Révolution présente létendue de son répertoire. Influence groove et jazz, création scènographique, tradition hip-hop, la prestation en trois parties présente létendue du registre de la compagnie.
Autour dun jeu avec des chaises, un classique du répertoire jazz, senchaînent dans un rythme soutenu les figures de danse debout, blocage, pop, et se conclu par un surprenant numéro de claquettes.
Vient ensuite sur une composition musicale alternant rythme lent et rapide le duo entre Hamid et Anthony, les ondulations, une combinaison de passe-passe et envolées., up-rock, tracks. Duo dharmonie et dopposition, tension entre figures synchronisées et danse de combat.
Visiblement Révolution a déjà un public acquis. Principalement féminin, il est massé au devant de la scène et manifeste sa présence enthousiaste en interpellant les danseurs pas leur nom.
Dans la troisième séquence les membres de la compagnie se rejoignent pour retrouver lesprit hip-hop des origines. Alliant lénergie dans des figures collectives ou individuelles comme le ninety-nine. Viennent les performances individuelles au sol composées des différentes figures du break, du six-step, à la couronne en passant par le thomas et la coupole. Le spectacle se conclut comme il se doit, par une figure densemble (freeze).
La banda municipale de Santiago-de-Cuba clôture le spectacle de cette soirée douverture. Malgré lheure avancée et le froid qui sest emparé du hangar une partie du public est restée fidèle. Cuivres et percussions composent la banda et au son des instruments latmosphère se réchauffe un peu. Loccasion de présenter un répertoire des rythmes cubains aux influences multiples, un mélange particulier de musique savante et populaire qui fait loriginalité de lorchestre.
En proposant à des artistes dinvestir des ateliers de préparation lévénement du carnaval met en lumière des parcours à la croisée dune forme populaire et de mouvances stylistiques. Les récits de ces cheminements, au-delà de la diversité de leur origine et de leur orientation ont pour point commun de se rassembler au creux dune émergence. Voici présentées quelques-unes unes de ces démarches.
Wal, costumière
Caroca cest ma ville natale, Caroca cest le mot que les premiers indiens qui habitaient là-bas ont nommé les blancs, ca cest blanc, roca cest la maison donc caroca cest les gens qui habitent dans les maisons des blancs, cétait le premier nom donné aux européens qui sont arrivés à Rio de Janeiro et ça sest passé vers 15O3, celui qui est né à Rio de Janeiro est Caroca, je suis Caroca et fière de ça,
Je suis une des fondatrices dun bloc de carnavals, cest un bloc de quartier qui a fêté là ses 15 ans, cest un bloc où jamenais mes enfants, quand ils étaient petits, cétait hyper familial. Je suis petite fille dun monsieur qui était fondateur dun des blocs les plus connus et reconnus, traditionnel du carnaval de Rio et jai pris lamour du carnaval très petite parce quil mamenait partout, il se déguisait, il me déguisait et en plus cétait quelquun vraiment de la famille.
Les écoles de samba se sont des communautés, cest comme ici comme si on avait dans dix ans lécole de samba de Grand parc, lécole de samba de Lormont, cest un quartier et tout le monde travaille ensemble, tout le monde travaille pour cette fête là, tout le monde travaille pour être ensemble pour le défilé qui dure une heure et cest du vrai boulot pendant au moins huit mois, pour construire, et raconter une histoire, chaque école choisit son thème, normalement se sont des choses qui parlent de lhistoire brésilienne, des conquêtes, des héros, des situations, des villes.
Chaque ville a son carnaval, à la même date pour le Brésil entier, mais cest différent, le carnaval de Rio il a ses caractéristiques, le carnaval de Récif une autre manière, Salvador aussi, chaque endroit a son rythme, son type de musique, la samba est liée vraiment à Rio, mais au Nord-Est, à Récif, ça change beaucoup.
Je suis venue depuis 96 exprès pour le carnaval, cétait le premier carnaval quartier musique, on avait déjà démarré un travail des ateliers résidences ici à Bordeaux, et autour de Bordeaux, Lormont, Florac, etc. en 93 avec le groupe brésilien Moleque et cest vrai quils ont fait de vrais liens avec les jeunes ici. Et cest pour ça que je suis venue faire ici, cest donner aux gens lenvie, le plaisir de construire une fête ensemble, cest ça les ateliers du carnaval, cest la construction, on réfléchit sur un thème, les couleurs et toutes les mères viennent aider. Je vois les petits trucs, les paillettes, donner à quelquun lenvie de réaliser son rêve et se transformer en quoique ce soit, ça cest vraiment quelque chose qui reste aussi. Cest comme ça que sont nées les écoles de Samba, tout le monde participe et on montre comme on aime bien et on fait la fête tous ensemble, on a nos blocs, nos cortèges les uns contre les autres tout le monde fait la fête.
Jacques Franceschini, plasticien
Je suis né dans le milieu de prolos italiens. Je nai pas fait les beaux-arts, jai eu un bac administratif jétais totalement inadapté, jétais comme tous les garçons par rapport à leur père en révolte, lui il avait une entreprise artisanale, donc je me suis retrouvé carreleur, ça ne marchait pas non plus. Dans un milieu de prolos immigrés, quest ce quils font, il y a trente ans ils travaillaient, ils ne faisaient que ça, il ny avait pas dautres solutions, et moi jai toujours inconsciemment dit que je voulais être artiste sans vraiment le discerner mais à travers la quête dêtre artiste. Il y a aussi une quête de liberté, il ny a pas que le côté plastique des choses, il y a aussi faire les choses seul, dans un atelier, ce qui me semble être le summum de la liberté, dêtre seul dans un atelier.
Il y avait une fierté des prolos à lusine, ils savaient quils le faisaient bien leur travail, le mec qui était fraiseur et moi jen ai connu, jai beaucoup travaillé dans le bâtiment, il y avait une fierté du carreleur, du maçon de faire un mur droit et puis ils avaient des beaux mouvements pour faire ça. Après une approche artisanale des choses, javais une approche un peu savante après je me suis mis à faire de la céramique tout seul, et depuis une vingtaine dannées les formes dans lespace, je vois bien que cest ça qui me plaît.
Jai du mal à me situer socialement, parce que je suis enseignant à la Faculté alors que je nai pas les diplômes pour lêtre, je suis issu dun milieu prolo alors que normalement les prolos ne forment pas des artistes plasticiens, donc je suis toujours un petit peu décalé, un petit peu déphasé. Par exemple, comme tous les prolos je me sens très mal à laise au CAPC (Musée dArt Contemporain) sans trop savoir pourquoi puisque après tout, tout le monde peut y aller, ce nest pas plus cher quailleurs, quune place de cinéma.
Esthétiquement jarrive à bien me situer parce ça fait vingt ans, je préfère employer le mot pratiquer, comme on pratique dans les arts martiaux, cest-à-dire que lon répète les choses, on se tait et on pratique. Donc je considère que mon travail est cohérent, jessaie dêtre quand même très modeste avec lui, je suis dans la lignée dun sculpteur qui a fait une des sculptures sur la place de Beaubourg, un monsieur qui travaillait sur la cinétique, sur le mouvement, qui travaillait aussi sur laccumulation des objets, sur le côté ludique, mon travail se situe un petit peu là plastiquement.
Je ne fais pas non plus de lart brut, je vois bien que mes sculptures ont une construction quand même savante, théorique et même si elles font des emprunts populaires. Cest pour ça que je suis entre deux chaises mais peut-être que cest ça lart, cest peut être marier des concepts ou des matériaux qui sont a priori à lopposé, jessaie davoir une réflexion. Ce qui correspond à de la sculpture, ce nest pas que je sois fait pour ça, cest ça qui me plaît et je le vois spontanément, je peux passer à nimporte quel endroit, voir deux bouts de bois rangés volontairement ou involontairement dune telle façon, et je peux dire tout de suite, ça se serait propice pour faire le départ dune sculpture ou cest nul et ça ne mènera à rien.
Je moccupe dune association qui sappelle Périscope qui est nouvelle, on a pris un local, on soccupe de jeunes enfants, on a décidé de faire venir des artistes, jai eu un petit peu dargent de luniversité pour organiser des expos, des colloques, des conférences et je vois que cest beaucoup de travail. On a décidé de faire venir peut être un Anglais qui travaille sur la nature, ce quon appelle du land-art mais il le fait tellement poétiquement, cest très très beau danimer ce petit lieu.
Ca a commencé très fort par la danse dans les années 84 sur les terrasses, dans les rues de Bordeaux. Il y avait les anciens qui mélangeaient break, danse debout, smurf. Par la suite cest parti au niveau du chant, il y en a dautres qui sont partis au niveau du graff, très peu aux platines, beaucoup de personnes se sont mises à chanter. Dans les années 90 il y en avait qui étaient déjà prêts, il avait Tribal Jam qui faisait de la new jack et ça a vraiment contribué à ce quil y ait un mouvement en ce qui concerne le chant, il y avait beaucoup de plateaux, Musiques de Nuit a contribué beaucoup à faire tourner les groupes sur scène, on est souvent passé sur la même scène, à Barbey il y avait IAM qui sont venus faire des ateliers, NTM, cétait très chant et puis maintenant tout le monde revient aux sources, commence à travailler au niveau du graff, il y a des gars qui touchent aux platines, il y a des gars qui dansent, bien quil y ait toujours une petite guerre entre les rappeurs, entre les gens dici qui prennent le micro.
Ce quon a pris conscience en allant voir dans dautres pays cest que les gens se spécialisent dans une technique, ils mettent toutes leurs forces rien que dans la danse debout ou rien que dans la danse au sol, mais nous notre force de Révolution, on a touché à toutes les danses et à travers tout ce mixage même si on n'a pas fait mûrir à fond une technique, toutes les autres nous amenait à pouvoir attaquer le sol et fort en débout, à être fort en chorégraphie, à être fort en solo, cest indispensable pour pouvoir arriver à un niveau supérieur sans se cantonner dans un style et cest ce quon essaie de leur apprendre à travers cette parade qui touche à tout, le boogaloo, le break, sil y en a qui ont envie de faire une formation classique, jazz ou contemporaine, on les pousse, quils aillent puiser ailleurs tout en sachant que ce quils ont commencé à la base cest le mouvement hip-hop.
Il y a la old school, il y a la new school, la middle school Il y aura encore dautres générations qui vont arriver et amener leur piment à tout cela. Dans la danse hip-hop on retrouve toutes les influences, capoeira, arts martiaux, claquettes, etc. La danse de rue ça a trente ans, le monde classique ça a trois cents ans, la capoeira ça a trois cents ans, la danse contemporaine a peut être cinquante ans. Il y a un langage qui est très intéressant, où lon peut puiser. On va vers les autres et on veut aussi que les autres viennent vers nous. On laisse la possibilité à des danseurs contemporains de puiser chez nous pour quils puissent faire évoluer leur travail. La danse est en train de stagner, il faut quon la relève par le biais de la culture hip-hop qui va nourrir la danse contemporaine, la danse classique, ou africaine ou dautres techniques.
Limportant cest que tout le monde sache doù il vient et où il va. Nous quand on a fait notre formation classique on ne se disait pas on va devenir des danseurs classiques, on se disait, on va prendre les meilleures choses, les meilleurs moments, les mouvements les exploiter différemment et les emmener dans une gestuelle hip-hop et cest ce quon essaie de leur transmettre que cest pour arriver maintenant dans le style français. Il y a en ce moment saturation, les gens ne vont plus voir les spectacles parce que se sont toujours les mêmes choses, cest lourd ça ne parle pas ou les gens se sont trop pris la tête ils ne comprennent plus rien, ça avait perdu de sa force et de sa puissance et nous on est arrivé avec une énergie, on est en train constamment de tout retourner.
Le rap, pour moi et pour dautres ça nous fait cogiter, au niveau de la danse on sen sert, on essaie de construire notre pièce comme un album avec une intro, un départ, toute une mise en scène pour pouvoir arriver après à une dramaturgie ou quelque chose de fort, pour arriver à une outro et une finition pour faire passer un message.
Jacques Pasquier, association Les Gamins de la Rue
Je ne savais pas comment je pouvais exercer mon métier en accord avec les idées que jai, avec ma vision du monde, en faisant un travail qui soit dans la société, déducation populaire.
Les Gamins de la rue, cest un regroupement dopérateurs qui ont une même politique qui ont voulu que leur action locale, dune part serve, essaime, mais aussi quelle se nourrisse et quelle nourrisse dautres actions et des échanges internationaux et quen même temps ce soit maîtrisé dans son contenu politique, esthétique ; comme partout tu vois fleurir des ateliers résidences, des repas de quartier, des arbres à palabres, de maintenir une certaine cohérence de laction menée.
Ca sert aussi à une certaine philosophie de laction et surtout pas de dériver dans une tendance actuelle, de dire on a mis au point un dispositif, on va le vendre, il faut vraiment garder le terme essaimer, amener effectivement trouver dautres opérateurs avec qui on va pouvoir travailler, avec qui on va pouvoir ouvrir dautres espaces, pas vouloir multiplier pour faire uniquement des économies déchelles mais pour structurer ensemble des politiques. On ne met pas léconomie au centre, ce quon met au centre cest le projet, cest se regrouper et dire on va mener une action sur Cuba ou avec le Brésil ou avec lAfrique du Sud ou avec le Sénégal, cette action en la menant à plusieurs on va regrouper les moyens de production, monter des actions plus fortes, on va monter des projets artistiques plus forts qui vont mettre en jeu plus démergences, faire des échanges démergences autour de projets artistiques forts, avec des échanges.
Cest vrai que ça a été avec Musiques de Nuit, le partenaire pour moi le plus constant et avec lequel on a pu vraiment mettre au point des dispositifs sur la continuité et notamment sur le lien entre le culturel, les travailleurs sociaux, même son intervention citoyenne tout en exerçant son métier.
Les premiers ateliers de 1992 avaient pour intervenant le groupe brésilien Moleque. Je voulais partir de la culture brésilienne des gamins de Favela, des gamins de rue, du peuple qui venait et qui demandait une solidarité contre lextermination des gamins de rue et je pensais que la meilleure manière de le faire cétait de mettre les gens en contact. Mon discours cétait de dire : quand tu as touché un problème, tu connais le problème, tu vas jouer au foot avec, tu vas faire des instruments avec et lidée cétait de reproduire les activités quils avaient à la Favela, donc cétait construction dinstruments avec matière en récupération. En venant demander de la solidarité, on avait amené autre chose, on avait ouvert des espaces qui avaient permis quil se passe des choses ici aussi.
Quelque part ce qui me faisait plaisir cest de dire on a fait une campagne mais ça na pas été une campagne caritative, ça été une vraie campagne où on a été reçu, il y a eu des échanges égaux, les gamins de la rue ils ont été égaux avec les gens quils ont rencontrés, ils ne sont pas venus pleurnicher et quand ils se quittaient, il y avait des larmes mais ce nétait pas des pleurnicheries cétait parce quil y avait eu des choses fortes qui sétaient passées et ça on ne pouvait pas larrêter.
Cest une volonté affirmée et politique, de dire, une manifestation, un festival ça se construit avec les gens, avec la pratique des gens et donc pour le faire avec les gens il faut créer des dispositifs qui vont ouvrir des espaces de façon à ce que les gens puissent prendre en mains les choses.
Nabisco, plasticien
Je suis de la Guinée Conakry située en Afrique occidentale limitrophe du Sénégal, Mali, Côte dIvoire, Serra Léon. Mon nom dartiste Nabisco veut dire Nabi suma de corea un mot que javais écrit il y a très longtemps. Je suis un plasticien de formation, jai été aux beaux-arts dans les années 65 et jusquen 1970 jai fait ma formation professionnelle, ma formation de base cétait dêtre graphiste, mais le cours de la vie en a joué autrement puisque jai vécu dans un pays au régime révolutionnaire où lart navait pas son épanouissement ni son développement. On finissait détudier les beaux-arts, on te remet la craie, va enseigner les mathématiques ou la physique donc une rupture avec ce que tu as fait, sauf peut être cest spécifique dans mon cas, moi jai fait le têtu, jai dit non je ne fais que ce que jai appris, je me nourrissais lesprit de ça rien que ça, parce que javais une conviction intime de la chose. Après cinq années dactivité au gouvernement, je me suis rendu en Serra Léon durant neuf ans où jai servi dans une grande compagnie de publicité et là jai acquis pas mal dexpérience pratique.
A mon retour au pays en 1984, cétait toujours la même carence dartistes noirs sur le territoire, pas dexpositions, et donc ayant capté quelques lumières à lextérieur, je me suis enfermé dans une chambre durant presque douze à quatorze ans, je faisais des uvres et jemmagasinais et ce nai pas sans dire quà ce moment jétais dans une pénurie criarde de matériel sauf que jai eu lidée lumineuse dès le départ. Un artiste qui dit je ne travaille pas parce que je nai pas de matériel, cest quil na pas dinspiration, et jai commencé à prendre les éléments de lenvironnement, du café noir, des extraits décorce, du jus de cola, pour pouvoir mexprimer sur la surface plane qui était à ma portée, cest-à-dire le papier et ce papier aussi je le ramassais dans la rue que ce soit un sac de ciment vide, que ce soit le papier à cigarette, le papier aluminium, donc cela est rentré dans ma tradition le collage et ainsi jai continué à faire du collage tant bien que mal non pas par coquetterie intellectuelle comme ceux des pays civilisés peuvent se faire des choix luxueux, chez moi le collage cétait une nécessité parce que je navais pas de matériel.
Cest ainsi que jai en Guinée au moins un héritage de 12 à 14 ans, de 1984 à 1996. Une professeur dart plastique de lIUFM de Poitiers est passée en Guinée pour animer un atelier dart plastique, elle a découvert tout ce que javais entassé depuis des années, ça la émerveillée. On a composé avec lalliance franco-guinéenne et le ministère de la culture, un projet de résidence dartistes en France afin quofficiellement je vienne minspirer de ce qui se passe dans les pays civilisés et que je capte le maximum dans mon art pour quà mon retour je puisse intervenir dans les établissements. Cest ainsi quen octobre 1997 je me suis retrouvé à Poitiers et puisquun artiste résident doit forcément intervenir dans des établissements scolaires, chaque projet monté a été abouti à terme, et à la suite toutes les productions ont été regroupées pour être lobjet dune exposition. Le bilan était positif, la DRAC de Poitiers a reconduit ma résidence pour une deuxième année et cest ainsi que je me retrouve encore sur le sol français.
A. Castillo Penalver, Banda Municipale de Santiago de Cuba
Jai commencé la musique comme ça depuis de nombreuses années même si pour moi ça ne ma pas paru extrêmement long et depuis je joue de la clarinette et du saxophone. Depuis vingt-cinq ans, je suis directeur dorchestre musical de banda et surtout la banda de Santiago de Cuba. Depuis trente ans les musiciens cubains sont tous des musiciens décole, il ny a pas de musiciens qui viennent de la rue comme il y avait avant et qui pouvaient se former dans la famille. Celui qui na pas fini lécole reste à lécole pour faire ses études de musique.
Pour moi, ce nest pourtant pas un enseignement académique. A lécole on leur apprend toutes les musiques, lélève qui sort de lécole va rencontrer des gens et il va faire son parcours avec untel ou untel, apprendre dautres musiques mais il saura déjà jouer, il aura les bases. Tout le monde entend la musique, tout le monde écoute, mais tout le monde ne peut pas la jouer. A luniversité de médecine par exemple sur cent personnes il y en a quatre-vingt-dix qui deviendront médecin, à luniversité de musique sur cent personnes il y en a cinq qui deviendront musicien et au niveau de lart sur toute la planète ça fonctionne comme ça. Les études de musique coûtent cher à lÉtat puisquon prend lexemple dun professeur de philosophie ou de maths il va avoir cent élèves alors quun professeur de musique naura quun élève. Lenseignement est gratuit.
A Cuba, les bandas jouent tous types de musique que ce soit symphonique, classique, musique populaire, musique cubaine mais pour nous surtout cest la musique populaire qui nous a attirés et en jouant cette musique populaire je me suis rendu compte quà Santiago ça plaisait aux gens, et donc jai commencé à me poser la question de faire un répertoire axé sur cette musique populaire. Cuba a énormément de rythmes quils peuvent adapter sur plein de morceaux cest un enrichissement permanent au niveau des bases et des morceaux. Les différents instruments que nous jouons : Trompettes, percussion, trompette première et deuxième trompette, clarinette, première et deuxième clarinette, saxo alto, tenor et ensuite trombone, tuba, bombarde, flûte, cest la composition de la banda.
A Cuba il y a deux types de formation, les orchestres symphoniques au nombre de cinq et énormément de Bandas. Les orchestres symphoniques jouent pour très peu de personnes, pareil que chez vous, et les bandas jouent pour énormément de personnes. Moi au début, dans la banda, je jouais des morceaux assez classiques, je me suis aperçu quil y avait une toute petite partie du public qui appréciait vraiment cette musique donc je suis venu à faire des morceaux populaires et je me suis aperçu que les gens appréciaient davantage donc ensuite jai organisé mon répertoire de façon à mettre un morceau classique, deux morceaux populaires pour que tout le monde sy retrouve.
Dans cette musique populaire il y a deux types de musique, il y a la musique cubaine de concert et la musique cubaine de danse et là cest extrêmement important. La différence entre la musique qui peut être dansée et la musique classique, cest que la musique qui se danse au niveau des bases va être répétitive, toujours le même tempo et toujours la répétition donc la personne saura toujours dans la musique. Pour la musique classique, bien que la musique classique soit extrêmement rythmée aussi, se sont des morceaux qui se mettent les uns après les autres et donc la personne ne peut pas se retrouver, elle va danser sur une partie qui va senchaîner sur un autre plan, ce nest pas une musique dansante.
Je prends lexemple de la " maya cubana " un morceau que nous jouons parmi les cinq avec les élèves qui est un morceau bien plus classique et je le compare à dautres morceaux comme " tcha tcha " " canta la mera " qui sont des morceaux de danse et à travers le répertoire que nous avons choisi pour les travaux avec tous les élèves, il y a une moitié danse et une moitié classique.
Lannée dernière nous sommes venus faire des dates en France et nous avons réalisé à peu près le même travail que ce que nous avons fait sur Bordeaux durant le carnaval à travers des cours avec des élèves près de Perpignan. Nous avons également enregistré un CD qui est sorti sur Musique du monde et se sont les raisons pour lesquelles nous venons à Bordeaux jouer.
Blade, Graffiti-artist
Je suis né à Lille, je suis arrivé très tôt à Paris. Jai grandi en région parisienne. Jai commencé à peindre là-bas les rames de métro, les murs, ça été mon moyen dexpression de mon adolescence, je ne dansais pas, je ne chantais pas, cétait pour moi ma façon de mexprimer puis de me donner un signe didentité. Cétait entre 85/88, cétait en pleine explosion du graffiti à Paris.
Jai 26 ans et je suis un peu entre deux générations de graffeurs. Jai commencé à peindre avec les premiers, jai toujours fréquenté à lécole ou ailleurs les plus grands du quartier ou les plus grands à lécole et ça, ça ma beaucoup aidé que ce soit personnellement, ou professionnellement ou artistiquement, ça ma aidé à évoluer très très rapidement.
A Paris, il y avait John qui venait darriver et qui avait lancé le wilde-style, on ne connaissait pas, on était resté sur le lettrage bloc. Il y a eu la venue de Sharp, on a commencé à sintéresser de plus en plus, à essayer davoir des photos doutre-Atlantique et voir un peu comment ça évoluait, le 3 D qui arrivait de plus en plus. Au départ sur les métros à New York dans la fin des années 70 ils avaient déjà leur 3D, ils avaient déjà un train davance sur nous. Mode 2 pareillement a lancé le travail sur les personnages. Ce quil fait est tellement différent de ce que font les autres au niveau des couleurs, des personnages quil a donné une certaine ouverture. Il a beaucoup lancé tout le phénomène pictural du graff à savoir que ses fresques sont des scènes, un peu comme un tableau, composition de personnage, premier plan, deuxième plan, et au départ quand on peignait des personnages cétait des à-plats, on mettait un personnage avec un lettrage ou deux personnages, mais il ny a jamais eu du travail purement de scène et de figuration sans lettrage, juste des personnages comme ça de la vie quotidienne, et à partir de là, beaucoup dautres, en Belgique Pie Gonzalès ou même Popeye de temps en temps faisaient des scènes.
Même au niveau du tag, le tag moi je me rappelle à lépoque, même aujourdhui, on faisait carrément des pages décriture pour avoir un style, pour avoir quelque chose de calligraphier, comme un logo tout simplement, comme une marque de reconnaissance avec ou sans couleur, mais pour avoir une écriture que tout le monde reconnaisse, à chaque fois la même. A Paris ils écrivaient des lettres assez droites, très peu de personnes faisaient attention à un certain style et ça se perd de plus en plus et cest pour ça que les gens quand ils voient des tags ils sont choqués, ils sont un peu agressés visuellement alors que si on prenait le temps de faire des choses un peu plus convenables, un peu plus travaillées, ça agressait beaucoup moins les gens, on avancerait beaucoup plus là-dessus, ça, ça été perdu, on ne la pas repris en France cette histoire de choses calligraphiées cétait tout un art, cétait toute une manière pour que chacun arrive à trouver son style.
En 90 et 91, jai vécu un an aux États-Unis je ny suis pas allé pour peindre, mais ça ma aidé à avoir une vision du graff là-bas et jai vu en fait que nous à Paris, on faisait fausse route avec les histoires de gang, on peut avoir un groupe sans faire la guerre, mais pour pouvoir faire des choses ensemble, des expos collectives. On a voulu copier au départ lidée des États-Unis alors quil ny a pas le même problème, ce ne sont pas les mêmes conditions de vie et moi je peignais avec les personnes avec qui je mentendais bien que ce soit untel ou untel, au nord, au sud, lest à louest peu mimportait cétait quil y avait un feeling, quelque chose qui passait, à partir de là on pouvait peindre ensemble.
Jai fait une école dart et industrie qui était celle de Tourcoing pour avoir un diplôme déquivalence de concepteur, dessinateur, graphiste qui ma permis, notamment avec le graff, comme javais peint la façade dune agence à Paris, de pouvoir faire la campagne publicitaire autour de la polo Volswagen. Ca été mon premier gros contrat. Ensuite tout ce que jai fait, je me suis attaché à tout rallier par rapport au graff, notamment de la formation pour des jeunes de centres ou dans des ateliers dart, créations daffiches, de programmes festifs, de carnavals ou de festivals dart de la rue, toujours tout autour du graff.
Jai fait pas mal de trucs solo aussi, et de 95 à 97 jai travaillé dans un centre social à Lille et jai fait deux ans à lacadémie européenne darts plastiques de Lille donc là ça ma permis de travailler sur les techniques traditionnelles de la peinture, que ce soit le trompe lil ou la reproduction de tableaux ou dautres choses, et ça ma élargi au niveau de mon travail, sur toile ça ma ouvert encore plus dhorizons et jai pu rencontrer encore plus dartistes différents.
Jai travaillé autant sur les natures mortes que sur les modèles vivants, parce que cest les perspectives, on retrouve des éléments de base tout simplement. Jai été autodidacte tout ce qui a été autour du graffiti je lai appris sur le terrain, il ny a pas décole pour le graff, on lapprend sur le tas, ensuite revenir sur des bases, on se dit je sais dessiner ça mais jai pris tel chemin pour réaliser ça alors quon me donne une autre technique pour y parvenir. Cest un peu comme un véhicule, tu vas de tel endroit à tel endroit à vélo et on te dit voilà, tu peux utiliser la voiture, on prend le même chemin mais cest une autre manière de réaliser.
Casset : Quand jai découvert le théâtre je venais du nord du Sénégal et jintégrais un autre milieu qui nétait pas le mien, dabord je ne communiquais pas avec les gens avec la même langue, ils parlaient le Ouolof, moi je parlais le Peul on communiquait un petit peu par la pensée, mais quand jai pratiqué le théâtre, jétais en colonie de vacances, ça ma permis de me libérer et de rencontrer beaucoup de gens, et de faire des efforts dans cette langue pour pouvoir communiquer. Le théâtre, je lai découvert dans la collectivité éducative à lâge de 10 ans et depuis lors je lai pratiqué à lécole, au lycée, dans les quartiers populaires pendant les vacances, ce quon appelle le mouvement associatif. Je suis encadreur de collectivité éducative diplômé en 1991. La collectivité éducative, se sont des moniteurs, encadreurs au Sénégal qui travaillent principalement pendant les vacances. Jai continué à faire du théâtre, jai rencontré mes collègues on a voulu créer quelque chose pour les enfants qui nexistait pas en Afrique, à part peut-être le théâtre de marionnettes mais ce nest pas répandu partout. On sétait donné le défi de vivre du théâtre pour enfants ce qui en Afrique nétait pas évident. Cest un pari quon essaie de gagner. Le théâtre ma apporté beaucoup de choses de fabuleux et ça ma permis de briser certaines barrières, de rencontrer plein de gens, de souvrir à autre chose et de comprendre certains éléments de la nature, comment vivent les gens.
Morhtar : Je suis arrivé très tard dans le théâtre. Je lai rencontré à lécole primaire, parce quil y avait beaucoup de clubs dans les écoles et après il y a eu toute une rupture. Je lai retrouvé par la musique en connaissant des gens qui pouvaient monter des choses qui étaient issues de la musique et qui côtoyaient un peu le théâtre, je suis arrivé au théâtre avec Côté Jardin depuis quatre ans. Cétait au départ une troupe de théâtre qui sest constituée en association nous travaillons ensemble, théâtre pour enfants tout public, familial, le travail est essentiellement axé sur les jeux du clown.
Patricia : je suis comédienne depuis trois ans dans la troupe. Au Sénégal il ny a pas de troupe de théâtre qui monte des spectacles pour les enfants. Déjà Marianne et moi on faisait partie dune troupe dans le cadre dune formation, cétait le perfectionnement du jeu de lacteur et à partir de cette formation on a décidé après de faire que du théâtre pour enfants. Après notre formation on a monté dabord une farce, une pièce de Molière, on a fait une adaptation des Fourberies de Scapin et après on a monté un conte japonais, une adaptation encore et après ça on a suivi un stage de clown. On a décidé de monter des spectacles de clowns, on a chacun un personnage de clown quon continue de travailler.
Marianne : On a commencé ensemble, au début des ateliers avec des professeurs, il y avait des professeurs du conservatoire qui donnaient des cours, on a suivi des cours et après on a monté un spectacle avec des élèves ensuite on a monté Côté Jardin tous les quatre avec notre metteur en scène. On a un peu fait des parades dans la rue au festival de jazz de St-Louis et on voit que la population est ouverte aussi à ce genre de spectacle, ils nattendent que ça parce que tu tinstalles dans un coin de rue, tu commences à faire un peu de bruit, cinq minutes plus tard, il y a du monde autour de toi, il y a plein de gens qui sont là curieux mais ce nest pas encore très connu au Sénégal.
Arts populaires
Les parcours orignaux et singuliers sont le propre de la démarche artistique. Les artistes intervenant dans les ateliers du carnaval ne dérogent pas à la règle bien quici soit renforcée la spécificité dun échange et dun regard croisé entre artistes du sud et du nord.
Plus rare est la richesse dun cheminement mêlant un apprentissage autodidacte marque des origines populaires et une recherche plurielle dexpérimentation propre à lart contemporain. Sans renier son appartenance, saffirme la liberté de puiser des références ailleurs. Cela commence par les matériaux, ceux proches de lenvironnement et se poursuit par les outils pour travailler cette matière.
Mais le plus étonnant est la capacité de jouer sur plusieurs référentiels esthétiques, celui de la rue, celui du travail et celui de lart. On peut graffer sur les murs, travailler en atelier et exposer dans une galerie, faire des performances de danse sur les esplanades et créer un spectacle sur une scène contemporaine, travailler sur des matériaux de récupération ou sur lenvironnement proche et exposer ce travail dans un lieu consacré, etc. Si lart a toujours joué sur une liberté et mobilité spatiale et symbolique, il ne crée pas obligatoire pour chaque espace de nouveaux référentiels offrant un rapport au public et un rapport esthétique renouvelés. Statistique à lappui, nous savons effectivement que le public des musées ou des scènes contemporaines change guère. Dautre part, il serait assez rare sans la volonté de quelques opérateurs culturels quun public du centre ville aille par curiosité senthousiasmer de la vivacité culturelle des quartiers
Enfin ce qui est décrit dans le croisement de ces parcours artistiques est aussi un rapport différent au travail dépassant la séparation classique entre artiste et artisan pour dessiner les contours dun rapport autre. Un travail libéré qui pourrait inspirer dautres modèles en dehors de la sphère artistique.
Art populaire, art de la rue, peu importe le qualificatif qui pourrait désigner ces démarches artistiques. Peut-être serait-il dailleurs dangereux ou appauvrissant de chercher à regrouper absolument ces parcours en une mouvance dûment estampillée. Ce qui est important de retenir ici, cest la création dun nouveau type de relation entre trois dimensions : la rue ou espace public, le studio ou espace de travail, la scène ou espace de représentation. De même la relation cernant le champ artistique entre luvre, lartiste et le public. Ces relations triangulaires constituent autant de référentiels et de base de travail pour les opérateurs concernés.
Continuum de lAtelier-résidence
Le continuum évoqué est celui qui pourrait sinstaurer entre le cadre de la rue, cadre primaire ou sexercent les processus sociaux fondamentaux et le cadre secondaire de latelier-résidence, lieu dune rencontre privilégiée avec des artistes.
Cette proposition permet dinverser limage habituelle de lartiste censé apporter de la culture à ces populations " enfermées " dans des logiques dappartenance territoriale ou communautaire ou pire encore dans lanomie et la violence des cités où seul lart véritable, lart validé par linstitution, serait porteur dune vision universaliste capable de casser les logiques identitaires.
Continuum veut dire quil ny ait pas de différence de matière, de procédé, despace entre cadre primaire et secondaire. Il sagirait dune appropriation de la culture par la continuité dun travail sur les formes populaires. Seul le cadrage change, le cadre second de latelier-résidence permettant de mettre en lumière le développement dune forme populaire, la faire " émerger".
" Un lieu de reconnaissance, cest peut-être tout simplement les couleurs, les matériaux de la rue, dutiliser ce que lon trouve, cest peut être aussi pour ça que les Africains se reconnaissent dans mon travail, eux aussi ils ont très peu de matériaux nobles, ils font avec des boîtes de conserve, ce que je fais moi aussi, on se retrouve là-dessus, sur la couleur aussi, sur le côté ludique des choses. " (Jacques Franceschini, plasticien)
" Une expression populaire quelle que soit la forme artistique, elle est issue du peuple, elle est destinée au peuple donc laspect populaire de lart du Sud trouvera facilement crédit auprès de ceux à qui lon présente lart comme quelque chose qui nest pas pour eux. Cest même terrible pour la survie de lart en général sil est devenu maintenant inaccessible pour le peuple qui lexprime et qui le consomme, sil devient un objet de luxe pour lui sil n'a aucune voie pour exprimer ce quil a en lui de plus profond, le peuple de quoi il vivra, quelles seront ses références, quelles seront ses armes pour marcher dans ce monde là. Cest dangereux pour lhumanité si un jour il narrive plus à avoir accès au rêve, au plaisir, à la poésie, à la beauté, au sacré. " (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
En tant que participant à un atelier, le fait de rencontrer un artiste, de développer son propre travail jusquau bout, le voir ensuite exposé, nous pouvons certes le comprendre comme une expérience très forte, mais qui ne se distingue pas en cela dautres initiatives danimation ou de sensibilisation autour dune activité artistique.
Le principe datelier-résidence en quartier populaire va plus loin, il propose de réintroduire cette participation dans une totalité qui fait sens où lexigence artistique est aussi un engagement social à travers une histoire de rencontre entre des individus et des cheminements.
" Je pourrais traduire ça par une participation totale à la chose, réaliser et participer en tant quacteur du carnaval cest quelque chose déjà, non seulement tu as fourni un produit, mais tu accompagnes ce produit dans la mouvance du carnaval donc cest une participation totale. " (Nabisco, plasticien)
Des artistes exprime le besoin de " reprendre la rue ", non parce que cela correspondrait à une commande ou une fonction de " créer du lien social ", mais parce que cest le moyen de capter une vie en mouvement, de rendre ce que lon a reçu, de retrouver ici le sens dune démarche, de puiser dans lénergie du geste la force de travailler sur la matière et générer de nouveaux styles.
" Ça été quelque chose de merveilleux pour moi, de magnifique, ce qui ma poussé à continuer dans le domaine théâtral. Cest quelque chose que je dois à la société, la société ma aidé par le biais du théâtre, ça ma aidé à communiquer avec dautres gens et je me dis que je dois quelque chose à la société, aider les jeunes qui ont les mêmes problèmes que moi ou dautres problèmes à sintégrer par le biais du théâtre. " (Casset, Cie Côté Jardin)
" Il y a déjà deux trois ans on sest rendu compte que de faire de la scène, être dans une salle de répétition ça nous rendait fainéant. On commençait à ne plus avoir ce côté rage, ne plus avoir envie de se jeter, de bosser, bosser, on commençait à être vraiment relaxe. On a voulu reprendre la rue parce que cest de là que lon vient et cest de là quil y a des énergies positives et qui nous poussent à nous surpasser parce quil y a des passants, des gens qui passent et qui nous mettent la pression et ça on la relancé et il y a des jeunes qui sont venus nous voir et qui ne comprenaient pas au début quest ce quon faisait, quest ce quils font, ils retournent à la rue, ils repartent sur les terrasses, les dalles des rue et puis ces jeunes là nous ont regardés, ils nous ont regardés mais en sous-marin de leur côté, ils travaillaient. Et un jour ils sont venus, ils arrivaient à faire des figures de danse, des coupoles, des passe-passe, et se sont les mêmes jeunes que lon voit maintenant qui se sont entraînés qui ont bien évolué très rapidement, une année, deux années. Voilà, à travers notre histoire et notre parcours ils ont essayé de faire un petit peu pareil et on arrive là dans la parade avec des jeunes qui se débrouillent bien et dautres qui découvrent. On essaie vraiment de transmettre, que les plus âgés puissent transmettre aux plus jeunes. " (Hamid - Cie Révolution)
Dun coté la volonté de réaffirmer une appartenance populaire, de lautre de construire un parcours artistique, au milieu se constitue un espace particulier occupé par latelier-résidence où lartistique ou la compagnie développe une uvre tout en exerçant une influence sur lenvironnement, en particulier par lintermédiaire dateliers.
" Dans lhistoire du graff, le graff est assez éphémère, certaines personnes vont peut être peindre un an, deux ans, trois ans, on va voir que leur nom partout et dune année à une autre, ils vont séteindre, on ne les verra plus. Dautres ont pris le choix comme moi den faire leur métier. Jai appris très vite, que sil fallait que jen vive et avancer personnellement et professionnellement, il fallait que jallie en même temps le côté atelier pour montrer aux jeunes daujourdhui quil y aussi un travail qui est fait avant den arriver là et que si tu as dautres envies il faut essayer daller voir ailleurs ce qui se passe. Dautres moments où la production mappelle à tel endroit pour venir peindre en tant quartiste où jintègre un mouvement ou un événement. Enfin il y a des expos individuelles ou collectives, cest encore une autre démarche. Il faut avoir un cahier des charges pour animer les ateliers, un cahier des charges pour les démonstrations ou les actions en direct où il faut réaliser une fresque et un cahier des charges pour tout ce qui est expos collectives ou individuelles. Je me dois de travailler sur différents plans si jai envie dêtre complet dans mon message, dans ma démarche. Je veux toucher tout le monde, jai envie de dire aux personnes, aux jeunes quil valait mieux peut-être passer par-là, que là il y a un travail qui est fait. Dun autre coté dire aux institutions que je sais faire autre chose que de peindre un panneau, que je fais du travail, que je suis un artiste à part entière et que jexpose et que jai un certain talent, et enfin, au niveau du monde du graffiti, que je suis aussi graffeur et que jai aussi mes références et que jai peint avec untel et que je vais peindre avec un autre et que je vais participer à un tel événement Moi, personnellement, pour me satisfaire jai besoin de ces trois éléments, sinon je pense que je risque davoir un vide quelque part. " (Blade, graffiti-artist)
Projet esthétique et sensibilisation
Se dessinent ainsi trois espaces ou mouvements : celui propre à une forme populaire, celui de latelier de transmission et celui de lexposition sur la scène artistique. Latelier-résidence se place au centre. Ni rue, ni lieu consacré, cest un entre deux entre lespace public des mouvements culturels et lespace institué du monde de lart.
Lidée de continuum sinscrit dans cette manière daborder les espaces autrement que par une opposition stérile entre ce qui serait le caractère populaire de toucher le plus grand nombre et le caractère élitiste de poser une excellence artistique. Nous préférons également parler de tension plutôt que dopposition entre le formalisme des codes culturels et sociaux confirmant une appartenance et lexpérimentation de la démarche artistique qui cherchera à dépasser toute référence formelle.
Le besoin premier (cadre primaire) de rassurance et de structuration, rôle de la forme culturelle en tant que forme populaire, peut coexister avec le rôle de lartiste qui est de pousser, daller plus loin, de prendre des risques, de dire " cest possible ".
" Il faut les deux, privilégier le côté rencontre, échange social, dynamique politico-culturelle, et dun autre côté, avoir un projet esthétique fort mais je pense quil ne faut pas non plus ne proposer que les projets esthétiques forts sans avoir la sensibilisation. Au départ il y avait le principe de base qui était, en travaillant sur les formes esthétiques et en faisant des ateliers ça dépassait le pur enseignement dune technique musicale ou artistique en amenant beaucoup dautres choses, de liens, déchanges, de discussions, despaces, de rencontres. Dans un mouvement réciproque ces choses renforçaient les pratiques artistiques puisque souvent les discussions étaient des thématiques sur le travail des formes artistiques et permettaient de creuser différemment les techniques. Lexigence augmente, il y a des vraies volontés qui saffirment de vouloir avoir des pratiques amateur avec des exigences élevées en tant que rendu esthétique mais aussi en tant que savoir-faire, en tant quapprentissage, en tant que discipline à tous niveaux. Face à ces niveaux dexigence il faut donc des réponses différentes. " (Jacques Pasquier, Les Gamins de la Rue)
La question nest donc pas de privilégier un projet esthétique fort au désavantage dune transmission en atelier ou inversement, soutenir lintervention en atelier dans les quartiers au détriment dune unité artistique de lévénement. La division ou la séparation semble moins venir de la forme populaire ou de lartiste engagé que dans la façon dont est conçue la mise en place dune intervention artistique dans les quartiers populaires, c'est-à-dire légide idéologique soit sociale, soit culturelle sous laquelle est placée cette rencontre.
" Les gens peuvent sunir à travers des formes artistiques, de même un peuple est uni dans une liesse comme le carnaval où tout le monde est au même niveau mais ce nest pas le cas si lart est étatique, quand il devient quelque chose qui est destiné à certains individus, à une certaine tranche de la population et pas à dautres. Cela crée un mouvement à deux vitesses. Cest cet aspect populaire de lart là qui doit revenir, cest comme ça que lon pourrait oser faire ". (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
De même la séparation classique entre amateurs et professionnels ne semble plus de mise si nous comprenons la création despace de latelier-résidence dans ce continuum.
" Dun côté lorganisation devient beaucoup plus professionnelle parce que chacun connaît bien son rôle, chacun sait ce quest son boulot. Cest bien dêtre professionnel, ça donne aux autres lenvie dêtre mieux, mais il ne faut pas laisser tomber les contacts, les gens, les échanges vrais. Il manque lesprit des premiers groupes brésiliens qui puissent mobiliser, qui débordent, qui fassent passer la musique partout, qui accrochent les gens. " (Wal - Costumière)
Lesprit de fête est-il incompatible avec la rigueur professionnelle ? Dans la perspective dun cheminement continu, nous nous apercevons que la rigueur est de mise dès le départ avant que soit posée la question dun professionnalisme. Nous parlons alors plus dengagement et de responsabilité de lartiste .
" A la base, nous, quand on a commencé, à peine quon savait faire trois pas et demi, on enseignait directement aux petits qui étaient avec nous, on était déjà chorégraphe sur scène avant davoir fait nimporte quelle étude au niveau de la danse, on n'y connaissait rien du tout, au niveau du jazz, de loccupation de lespace, de la scène et on était déjà en train dinventer nos propres pas. Au niveau de la transmission ça sest fait tout seul et lon sent que lon est obligé pour avoir une relève de transmettre, ce savoir on ne peut pas le garder pour nous, mais il y a des règles, on apprend des choses et on espère que la personne qui a appris, elle, par la suite, pourra l'apprendre encore à un plus jeune avec la même philosophie, une bonne manière de transmettre. Après cest vrai que nous on est parti se former au niveau pédagogique au niveau technique, pour quon ait vraiment tous les bagages pour quon puisse transmettre ça dans de bonnes conditions. " (Hamid - Cie Révolution)
Cette rigueur nempêche pas que soit prise en compte louverture et limprévu, un champ du possible.
" En chaque individu réside et dort un artiste, il y a les pratiquants et les non pratiquants mais chacun a son génie, a son idée du monde. Ces fêtes là, où tout le peuple est concerné, donne loccasion de voir des choses quon n'aurait pas soupçonnées chez son propre voisin. Il trouve loccasion de sortir cette expression, une expression artistique tellement forte quil est inventif. Cest cet aspect populaire là de lart qui fait que les gens évoluent, se connaissent mieux, échangent mieux et que ça donne beaucoup plus despoir dans ce monde là, que lon vit autre chose. " (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
Tout le monde ne deviendra pas artiste professionnel mais tout le monde peut exercer sa créativité.
" En invitant des artistes qui vont prendre en compte la manière dont se construit le carnaval, cest une mise en relation des pratiques professionnelles et amateurs et la mise en condition professionnelle de pratiques amateurs, enfin les centres sociaux qui prennent en compte notre fonctionnement et qui doivent sy adapter pour produire et après cela dépendant de la souplesse avec laquelle on doit gérer cela. " (Jacques Pasquier, Les Gamins de la Rue)
Latelier-résidence nest pas une des modalités dune intervention artistique, cest un cheminement, celui dune forme populaire dun coté, celui de parcours artistiques de lautre.
Lidée de continuum nous permet de sortir de la logique dopposition binaire, la vision réductrice qui voudrait opposer particularisme et universalisme, local et général, populaire et excellence, amateur et professionnel.
Cela ne veut pas dire quil nexiste pas de tension entre ces pôles, mais elle se concevrait plus comme une dynamique à vivre quune équation à résoudre. Sil y a tension ou contradiction cest aux principaux concernés à la gérer et à lévaluer.
Dun côté certains reprocheront le trop grand professionnalisme dans la préparation du carnaval qui tuerait la spontanéité propre à une effervescence populaire. Dautres, au contraire critiqueront le manque dunité esthétique dans la forme finale du défilé qui serait la marque dun trop grand amateurisme.
Le débat pourrait se poursuivre et il faut quil le fasse. Mais limportant ici est que ces questions puissent trouver un espace où sexprimer et résonner. Latelier-résidence représente en cela non seulement, un espace de rencontre et de réflexion, mais le rare lieu où puisse se construire un référentiel susceptible dévaluer laction dans le sens dune totalité, quelle soit prise ensuite sous un versant social ou artistique.
Rappelons tout dabord que la résidence dans " atelier-résidence " ne représente pas la dimension artistique alors que latelier en serait son vis-à-vis social. La résidence est tout simplement le lieu ou se déroule le travail sur des matériaux et une forme artistique, quil sagisse dun travail de transmission et de production ou un travail sur la continuité dune uvre. Ce lieu nest pas simplement physique et il est aussi symbolique. Il constitue une zone dinfluence, une aura, une atmosphère esthétique qui enveloppe des individus et leur espace géographique.
La présence artistique ne se limite pas au quatre murs qui enferment lartiste et son travail, elle dégage un autre lieu.
Nature de lactivité artistique et sociale
Sous cette perspective, la définition de lactivité exercée au sein de latelier ne se décline pas en terme de domaine artistique ou social mais en terme dexigence de travail sur une matière, travail dont les conséquences peuvent être artistiques et sociales. Il sagit doffrir les meilleures conditions de travail possible en respectant chez lartiste la continuité de son travail.
" Je nai jamais voulu être le flambeau de tel ou tel mouvement ou de telle ou telle situation, notamment au niveau social, on relie toujours le graff à un phénomène social, mais je ne suis pas sûr que si jétais né ailleurs quen banlieue, peut être que je grafferais aussi, ce nest pas aujourdhui mon combat, si on peut appeler ça un combat. Ma façon de peindre et tout ce que je fais autour, cest pour faire valoir le graff comme un art à part entière, ce nest pas pour dénoncer les problèmes des jeunes en banlieue, ceci, cela. Par rapport au carnaval, là cétait un peu dans la continuité de mon travail. Cétait très équilibré parce quil y a le travail en atelier, il y a le travail de production qui était pour le char, une colonne spécifique et puis toute la signalétique sur la ville quon pourrait presque lier à un travail dexpo, cest comme si jexposais douze personnages dans la ville, donc les trois éléments qui me vont et cest pour ça je me suis régalé, je me régale encore à bosser jy vais bien dans ma peau, bien dans mes pompes et je nai pas limpression daller au boulot tous les matins à 9h. je suis là-bas tous les matins et ça va tout seul, cest très varié, je suis dans latelier, je continue de produire, je fais autre chose, etc. Cest ce qui me va le mieux, cette façon là de travailler. " (Blade, graffiti-artist)
Pour les artistes il est important de pouvoir défendre une cohérence de travail. Lart se comprendrait alors avant tout comme outil au service de cette cohérence aussi bien dans la transmission dun travail sur la matière que dans le développement dune uvre. Ce qui permet de dépasser la dichotomie classique dans laquelle est placé souvent le domaine artistique : lart pour lart ou art social ?
" Pour nous cétait important de pouvoir réussir à faire jouer aussi dautres gens qui nont pas du tout cette culture, ces rythmes et leur vision des sonorités de leur musique, arriver à pouvoir les faire insérer là-dedans en si peu de répétitions. " (A. Castillo Penalver, Banda de Santiago de Cuba)
" Populaire nest pas populiste. Cest un but noble de chercher à intéresser tout le monde mais cela ne doit pas être du déjà vu, du nimporte quoi. Il y a ce slogan qui est très important en art, "on peut tout faire en art plastique sauf du nimporte quoi". Il faut que luvre ait un sens, tant pour toi que pour les autres, et cest dans ce but positif délévation dexpérience noble que je mévertue toujours, donc je ne me laisserai pas tenter par une facilité quelconque, une facette dun carnaval qui peut être oui cest pour meubler lespace, ça passe cest temporaire. Non, chaque geste humain est enregistré quelque part. Quel que soit le sujet donné, je cherche plutôt à mélever, à mexpérimenter selon le contexte mais toujours à mélever dans le sens de la qualité. Si dans le carnaval "tout est permis", je cherche toujours à faire mieux puisque pour que le peu qui restera après toutes mes actions, passera à travers moi. Ce qui est important dans la vie, parce que je serai obligé de faire dautres uvres, cest la mutation positive, à tout moment que je mexerce, je mefforce tout au plus de rendre le mieux. Jai une expérience et au contact dautres peuples je cherche toujours à majorer mon art quel que soit le thème, une position appréciable dans le rendu. " (Nabisco, plasticien)
" Ce nest pas simplement une animation, cest aussi participer à une chose cohérente qui a un début, une construction et qui sera montrée, qui a une importance. Je suis dans la continuité de mon travail, cest pour ça que cest aussi facile, enfin facile, cest pour ça que je ne tâtonne pas trop. Je suis dans une totale liberté, on me fait entièrement confiance, je nai jamais de contrôle. Je vois bien que je suis un privilégié, je fais ce que je veux de ma journée, cest quand même formidable, même si je travaille beaucoup, cest la seule chose que je puisse souhaiter aux êtres humains en même temps que de sentir que ce que lon fait va servir à quelque chose, quil y a un but, que ça puisse rendre les gens plus heureux. " (Jacques Franceschini, plasticien)
Dans cette cohérence, il est important que chacun des acteurs participant à la définition du cadre de latelier précise son rôle. Lartiste nest pas un animateur ou un éducateur.
" Le propos nest pas dêtre des éducateurs, ce nest pas notre démarche, mais cest aussi donner du plaisir en faisant un peu réfléchir, en prenant une position par rapport à lart que nous pratiquons, il faut quon soit porteur de plaisir mais aussi didées, de réflexion, cest important pour nous. " (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
" Il faut aimer le théâtre pour pouvoir aller le voir, cest pour ça que dans les pièces que nous faisons, on ne se dit pas éducateurs, on ne veut pas prendre la place des parents ou la place des éducateurs, on est tout juste des gens qui veulent quils puissent aimer le théâtre dès le bas âge, quils puissent être au courant des problèmes qui se posent par le biais du théâtre. " (Casset, Cie Côté Jardin)
Cette démarcation par rapport au champ social ninsinue pas une volonté de séparation, encore moins de mépris, elle pose encore une fois une exigence de travail, seule susceptible de tirer le social vers le haut, non seulement par la qualité du travail proposé mais aussi dans la prise en compte dune totalité qui fait sens pour les personnes impliquées.
" Sur quoi est-on concentré, bien sûr sur la qualité. Au niveau de mes panneaux je me suis concentré sur la qualité de mon travail, les danseurs sur la qualité de leur chorégraphie, pour le son on a pris des bons D.J., au niveau des costumes aussi, il y a eu un gros travail, ce que lon veut cest un impact de qualité. " (Blade, graffiti-artist)
" Il y a tout un travail qui se fait derrière, cest un travail exigeant Sans exiger le sacrifice dun professionnel, cest provoquer chez les enfants la passion, allumer une petite flamme au sein deux, susciter des petites images dans la tête. Quils puissent voir aussi ce que cest quun travail de clown, peut être le découvrir, que cela puisse leur servir un jour sils en ont besoin, sils ont envie de continuer. " (Casset, Cie Côté Jardin)
Cest dans cet équilibre entre art et social, création et transmission que lartiste peut gérer la liberté de son cheminement.
" Je me retrouve bien dans les deux tendances que ce soit les interventions dans les milieux scolaires ou pour conduire des uvres strictement personnelles. Quand linspiration est libre je me retrouve et je mappuie essentiellement sur mon inspiration qui part de deux faits : le milieu que jhabite et doù je viens. Chez lhomme quelles que soient les conditions, quelles que soient les activités, cest ladaptation qui compte, donc jai fait de mon mieux pour satisfaire autant les besoins dans le milieu scolaire que mes besoins propres. Jai actuellement une exposition dans la région. Lexposition cest le but recherché par tout artiste. On travaille pour faire voir aux autres pour quils donnent un avis, quils acceptent ou critiquent. Une uvre est faite pour être vue donc si je me retrouve dans un espace où librement je peux travailler et quil y a un autre espace pour aménager mes uvres, vraiment cest un bonheur total parce que jespère que je travaille pour un public et quil naura pas de regret à la découverte. " (Nabisco, plasticien)
" On ma demandé sil était possible dintégrer des ateliers, si je pouvais les intégrer à mon travail, jai dit oui à la seule condition de ne pas en faire non plus tous les jours, si je veux faire une bonne production et un travail de qualité, jai besoin de ne pas avoir trop de gamins tous les jours non plus, je me suis limité au total à cinquante gamins, donc cinq groupes différents même si jai eu beaucoup plus, jai eu deux collèges, un hôpital de jour et un centre danimation. Pour certains jai passé une matinée là-bas, ils passaient une journée entière avec moi le lendemain, travail desquisse et de présentation et le lendemain travail de réalisation au Container et pour dautres comme le centre danimation, ils se déplaçaient directement au Container et travaillaient deux après-midi ou trois, par contre lhôpital de jour comme leur nombre était très restreint, je pouvais les intégrer à nimporte quel moment avec les autres gamins, ils étaient deux ou trois jamais plus, donc jadaptais la chose. " (Blade, graffiti-artist)
" Lors des ateliers à Perpignan nous avions débuté notre travail mais cest à Bordeaux que nous avons pu mener nos actions comme nous le sentions en première expérience, parce que par rapport à ce que nous avions fait auparavant, nous avions juste travailler avec deux bandas, dans deux villes différentes, là nous sommes surtout venus pour une tournée. Le carnaval, cest un travail qui sest additionné, là nous avons pu mener ce que nous voulions faire avec les gens et le mener comme nous le désirions et nous sommes contents. " (A. Castillo Penalver, Banda de Santiago de Cuba)
Quel est le principe de cette liberté ? Évidemment la liberté des matériaux, des techniques de travail et des relations pédagogiques au sein de latelier.
" Si on mavait demandé techniquement de travailler sur du grillage avec du papier mâché, je leur aurais demandé peut être de faire appel à quelquun dautre. Jai fait des trucs plus savants, qui changent un petit peu, qui sont plus des volumes dans lespace, si cest pour faire encore des grosses têtes, nimporte quel groupe de quartier sait un petit peu le faire traditionnellement. " (Jacques Franceschini, plasticien)
" Dès le premier jour, jai demandé du matériel et ils me lont donné, jai demandé le thème et ils mont dit, tu es libre de faire ce que tu veux, à partir de là je me suis senti libre. Jétais un peu curieux de savoir quel était le thème et ils mont simplement dit quil sagit de faire des bandes pour égayer le carnaval et puisque cest festif, jai opté pour des figures que lon retrouve dans mes bandes. " (Nabisco, plasticien)
Cest vrai quil y a une certaine liberté, cest vrai quavec le carnaval ils nont pas donné de directives, on a discuté des objectifs à atteindre, on sest compris ". (Casset, Cie Côté Jardin)
Mais avant tout la confiance accordée à lartiste pour mener à bien son projet en tant quuvre permet dautant mieux de favoriser une relation de transmission. Léquilibre création transmission nest alors pas conçu comme un deal, une transaction ou un pacte qui serait daccorder des moyens de production, un espace de création contre de lanimation sociale, une opération dans des quartiers. Intervenir dans une école ou dans un centre social nest pas déconnecté du reste, une synergie véritable peut alors sétablir.
" Là on est totalement libre de faire ce que lon a envie de faire, cest complexe parce que ce nest pas des budgets énormes pour pouvoir réaliser cette création, mais avec ça on savait quon pouvait le réaliser, on a dit oui, ce nétait pas une question dargent, si on a fait ce travail là cest pour pouvoir faire passer ce que lon voulait faire passer. Cétait quelque chose qui était déjà réfléchi à la base et quon a laissé le temps de mûrir et puis on voulait vraiment faire une création, on ne voulait pas juste faire de la danse. " (Hamid - Cie Révolution)
Comme tout équilibre, celui-ci est à réajuster de façon permanente et vigilante. Le caractère très lâche de la commande et du thème du carnaval (le fantastique) permet de préserver un champ de travail très ouvert. Cependant une commande reste un cadre et par conséquent une contrainte intériorisée de manière plus ou moins consciente.
" Javais une commande très floue mais il me semble que jai été cohérent dans cette commande, que jai bien répondu aux deux chars quon ma demandés de décorer et puis il me semblait que dans les conditions que le maître duvre Musiques de Nuit posait, cétait quelquun qui sache travailler avec les autres, qui était capable de travailler avec la récupération, qui sache faire quelque chose de cohérent en vitesse, il me semblait que jétais cohérent avec ça. " (Jacques Franceschini, plasticien)
" Il y avait une commande assez précise sur le char hip-hop, il voulait un graff Pur hip pour les rouges et un graff Pro hop pour les bleus, essayer de rallier les deux pour suivre au niveau de la chorégraphie du carnaval. Il y a un paradoxe, où on peut faire telle ou telle chose mais en restant un peu dans le cadre. Ainsi pour les lettres du char hip-hop, tu fais une fresque mais il faut un minimum de lisibilité pour que les gens puissent comprendre. Cest pareil pour les personnages de la signalétique, on ne me la pas dit, mais comme pour les lettrages, je crois que je lai compris, le personnage est un personnage assez rond, pas agressif, il faut faire passer les choses. Pareil pour les costumes, le lettrage et toute la conception graphique pour le costume des danseurs, il a fallu lever un peu le pied sur certaines choses, mais je pense qu'il faut pour faire passer la pilule petit à petit si on veut arriver à quelque chose. " (Blade, graffiti-artist)
Ce paradoxe est moins lié au mode dorganisation ou à la volonté de lopérateur quau caractère événementiel dune telle opération et à lambiguïté du carnaval puisque coexiste ce double principe consensuel et conformiste dun côté, subversif et effervescent de lautre. Tout est autorisé a priori mais la préparation induit implicitement que les choses soient bien faites, peut-être trop lissées sans sautoriser la touche de folie ou le caractère pointu dune affirmation esthétique ou culturelle. Ce qui nenlève rien à la qualité du travail et des relations qui auront pu être tissées.
Cadre résidentiel et cadre événementiel
La principale difficulté ne réside pas dans la commande en elle-même mais dans léquilibre compliqué entre cadre résidentiel et cadre événementiel. Le cadre résidentiel renvoie à une cohérence dans un cheminement artistique, la construction dune uvre avec une diffusion par aura. Le cadre événementiel impose une obligation de production sur une période réduite pour une représentation unique et relativement codifiée.
" On a les mains libres, le problème cest le temps, on ne peut pas vraiment faire un travail complet avec les enfants. On va directement dans le vif du sujet, le but ce sera dessayer de leur apprendre des chansons, des choses quils pourront faire au moins pour le défilé, cest évident que si on avait beaucoup plus de temps, on aurait travaillé plus le côté théâtre que le côté carnaval. " (Marianne Clown - Carnaval)
" Le temps est trop court avec les gamins, deux heures par cinq jours, dommage pour certains. Je sens quil y a des enfants qui ont envie de continuer, de pousser beaucoup plus loin. Je connais une fille elle est extraordinaire, son clown me fascine moi quand je la vois ça me fait plaisir, jai beaucoup appris avec elle. Entre le cadre du cirque et le cadre du carnaval, cest vrai quon est obsédé par les objectifs de ce carnaval, mon principal problème était dêtre dans les temps. On est obligé de respecter les règles du jeu. " (Casset, Cie Côté Jardin)
La répétition annuelle de lévénement aide à une fidélisation et à lévaluation dune dynamique dans le sens dune appropriation collective de lévénement.
" Ce que je vois avec beaucoup de plaisir, cest que mon travail de 96 et 97 est resté. Le carnaval de Bordeaux existe, ça fait partie du calendrier, les gens y font leurs trucs, ils ont appris le peu de technique que jai pu amener ici, ils le font, ils créent des choses. Les jeunes dans les centres travaillent vraiment et ils sy prennent beaucoup en avance. Quand je suis arrivé dans lun des centres, cétait parti déjà depuis un bon moment, le choix du thème, la confection elle-même. Je me sens heureuse davoir amené ça. En 96 Il ny avait rien, les gens voulaient rester chacun dans leur coin, ils ne sortaient pas de chez eux pour faire la fête ensemble, cétait le boulot de fourmis. Aujourdhui il y a eu une énorme différence, les gens viennent, ils appellent. " (Wal - Costumière)
Une manière de compenser la double contrainte du temps et de la production limitée propre au cadre événementiel serait de garantir une continuité du travail, autrement dit, des résidences dans la durée.
Si artistes, populations et opérateurs semblent plus ou moins trouver leur compte, la contrainte événementielle engage trois risques principaux.
Pour lopérateur, le risque de se transformer en prestataire de service des équipements de proximité et des collectivités, incitant un désengagement de ces structures sur un projet global et plus largement, provoquant labsence de prise en compte politique du projet.
Pour les populations concernées, le risque est que les ateliers conduisent à une sélection par le haut, une sorte décrémage favorisant lémergence de groupes amateurs sans que lensemble de la population participe à un développement culturel et donc sur un plan global à la reconnaissance dune émergence culturelle.
Pour les artistes impliqués, bien que relativement libres dans leur travail, le risque serait de perdre la richesse dune dynamique engagée, la synergie entre création et transmission, la cohérence dun projet où le social est tiré vers le haut en posant une exigence artistique de grande qualité tout en prenant en compte la spécificité des formes populaires. Autrement dit, le risque est de tomber dans un déséquilibre où lartiste simpose des choix, soit sappuyer sur un versant artistique en défendant et valorisant son propre projet, soit se laisser envahir par la dimension sociale en acceptant de réduire son intervention à une simple animation.
Nous pouvons imaginer que la formation artistique qui tira le plus grand profit de linvestissement dans le carnaval aussi bien en terme de projet artistique que de développement dune forme culturelle sera celle réunie autour des disciplines hip-hop car la majorité des artistes sont de lagglomération bordelaise et pourront suivre lévolution des processus.
" Je pense que cest bien parti et ça me fait vraiment plaisir quon ait pu réaliser ce projet là et je sais que ce nest pas un projet qui va servir à rien du tout, au contraire, cest un projet qui va donner du rêve et lenvie de réaliser pour dautres la même chose, le même parcours que nous. Cest vrai quon ne veut pas que les gens copient exactement ce quon a fait, mais quils se servent de ce que lon a fait pour quils réalisent quelque chose à eux qui leur appartient et quils transmettent. Sils voient que cest une parade semi-professionnelle que ça leur donne lidée de faire la même chose, quils puissent réaliser aussi ça et donner du rêve et du plaisir à dautres jeunes. " (Hamid - Cie Révolution)
Se pose alors dautres questions : quels relais peuvent être mis en place, sur quels lieux peut-on sappuyer, quelles dispositions prendre dans le sens dune continuité dun travail en ateliers, avec quels encadrants ?
" Il y a très peu dateliers hip-hop qui se mettent en place dans le sud de la France parce que les intervenants doivent posséder des diplômes ou une certaine notoriété. Nous on a pu faire ce projet là parce quon a prouvé, quon avait une expérience et une formation (voyage aux États-Unis, tournée au Maroc, scènes et ateliers au niveau national). Jespère que plus tard, il y aura dautres intervenants parce que la plupart des jeunes quest ce quon leur fait faire, des sorties de pêche, des sorties cheval, et on privilégie les petits, les grands on les laisse un petit peu à part, ils ne sy retrouvent pas. Il faut trouver des relais, des salles. Ils vont être confrontés eux-mêmes aux problèmes que nous avons vécus. Il faut quils se battent et quils avancent, cest un défi, constamment. Ils en ont pris conscience, il faut le prendre avec un esprit positif. Il faut quils soient unis et groupés à cinq/six entre bonnes personnes, quils sentendent bien, quils soient bien soudés, quils aient un esprit de groupe positif même sil y a des personnes qui nont pas le même âge ou pas la même vision au départ et construire quelque chose ensemble. Il faut des scènes et des moyens, ce carnaval va faire prendre conscience à des gens qui ont les moyens de mettre en place des scènes, de mettre en place des ateliers quil y a une demande et quil y a des jeunes qui sont là et qui attendent, qui ne veulent pas être assistés mais quon puisse les soutenir comme nimporte quelle compagnie, leur donner des subventions, leur donner les moyens davoir un lieu, au niveau administration leur donner les moyens quils puissent avoir une ligne téléphonique, un bureau, à la comptabilité quils puissent être bien entourés pour quils puissent avancer. " (Hamid - Cie Révolution)
Les artistes participant à la préparation de lévénement contribuent au carnaval comme uvre collective, tous ne se positionnent pas de la même manière parce que les modes dintervention inhérents aux disciplines sont différents mais aussi parce que certains projets esthétiques, artistiques et culturels sont plus ancrés que dautres dans un espace social.
" Quand on fait ce boulot là et quand on monte des uvres collectives comme le carnaval qui ont une telle incidence de société, il va y avoir une nécessité de prendre en compte une évolution des savoir-faire et des désirs des gens qui participent à ce carnaval aussi et qui évoluent avec nous, les gens dans les centres sociaux. Ce quil serait intéressant danalyser, cest de voir pourquoi il y a 350 personnes qui participent au carnaval sur un centre social et 7 sur un autre alors que se sont des bassins de population. Je crois que la première réaction des structures, cétait de voir les animations, je crois quen plus il ne faut jamais systématiser, tout de suite on a vu la différence entre différentes villes, ça vient de la façon dont les gens ont reçu lévénement ou la manière denvisager un festival différemment. " (Jacques Pasquier, Les Gamins de la Rue)
Laccroche semble effectivement n'est pas très simple pour les animateurs des structures de proximité. Nous connaissons en partie les raisons invoquées entre la " prise " du quotidien et les pesanteurs structurelles. Ce nest dailleurs pas leur rôle de porter à ce niveau une exigence artistique. Par contre, se serait dans leur mission de prendre en compte une éducation populaire. Nous revenons sur le sens dune totalité dans le travail sur les formes populaires qui ne sépare pas forme esthétique et forme sociale.
" Je sens que certains enfants sont hyper intéressés, je ne leur pose pas la question mais je cherche à savoir pourquoi ce gamin il saccroche, est ce parce que lon est pas dici ou cest le travail quon fait qui les intéresse puisque le métier de clown ça se fait aussi en Europe, ça ne fait pas partie de la tradition africaine. Jessaie de discuter avec deux, trois encadreurs. Ils mont dit que ça leur avait beaucoup plu que ça les avait intéressés. Mais à chaque fois on n'a pas très approfondi quand jai posé la question aux animateurs de savoir comment ils voient le travail, comment ils ont vécu ça, quest-ce que ça leur a fait, sur la méthode de travail, etc. Ils mont dit que ça sest bien passé. Je leur ai demandé si ça ne les avait pas trop frustrés la manière dont on travaille ou si ça ne rentrait pas dans les règles, ils mont dit que ça allait, ça sest bien passé, ils ne mont pas critiqué. " (Casset, Cie Côté Jardin)
" Souvent, il y a les animateurs qui participent, qui font les exercices et léchauffement avec toi, qui apprennent la chanson pour la parade mais après pour les exercices, ce nest pas leur métier, ils ne lont pas appris, ça reste dans la tête des gamins et puis même pour eux, de voir quil y a une forme comme ça de travail, dapproche de création, après " (Marianne, Cie Côté Jardin)
" Moi jai vu un animateur à Florac qui a eu lidée de continuer avec les enfants de latelier parce quil a envie de monter un petit théâtre des enfants, pour les enfants, donc là il y aurait une suite, parce que le stage lui a donné encore plus denvie de continuer cela. Dautres te disent, la réalité ici, il y a tellement dactivités qui sont proposées, il y a aussi un problème de temps, autant les enfants que pour tout mettre en place, que ce ne sont pas des idées que lon peut reprendre tout de suite et continuer parce que cest un travail où il faut consacrer une bonne partie de son temps à cela pour avoir quelque chose qui ressemble à de la qualité. "(Mokhtar, Cie Côté Jardin)
La question nest pas de savoir si les structures sociales se doivent de relayer ou non des ateliers-résidences mais comment peuvent-elles le faire et cela autrement quen ouvrant une salle et en amenant un " public ". Au point où certains artistes en viennent à souhaiter travailler dans dautres conditions.
" Avec un centre danimation les gamins ne sont pas forcément motivés ou ne sont pas forcément prêts à telle ou telle chose, sauf si on sy emploie longtemps avant, mais de part mon expérience je sais très bien que si on leur présente le projet en septembre, ils ne savent pas du tout sils vont le faire ou pas ; par contre si tu leur mets une affiche la vieille ou lavant veille, ils tappellent le matin pour te dire on passe laprès-midi. Par contre à lécole ouverte les gamins accrochent plus, au nouveau suivi cest plus conséquent, ils ne viennent pas que pour la matinée et lendemain on oublie, il y a un travail qui est fait auparavant, il y a le travail pendant, il y a le travail qui se fait après, puis il y a possibilité de prolonger ensuite, au niveau de la valorisation du travail du gamin cest important, pour la valorisation du travail de lintervenant cest important, et du professeur aussi cest très important.
" Jai toujours eu affaire, ce qui était ma déception, à des centres danimation, alors quau départ un enfant qui va au collège cest aussi celui qui va au centre danimation, je préfère à la limite prendre celui qui va au collège parce que ça enlève au gamin le cadre trop institutionnel. Je préfère un gamin qui dise "avec le collège on a été faire du graff" on a été peindre, quun gamin qui dise "avec le centre danimation on a été taguer", même si le travail est quasiment le même, au niveau des yeux de lenfant ce nest pas pareil, si je peux ce jour là lui avoir donné une certaine idée et lui avoir montré quà lécole ce nest pas que le prof et le directeur et les parents de lautre côté mais quavec lécole aussi on fait du graff. Si lécole reconnaît la chose cest que finalement ce nest pas du vandalisme et si moi en plus je viens rajouter ma sauce en disant, voilà si tu veux faire honnête il faut travailler, il faut faire ceci, cela, le gamin il sort de là, il na carrément plus la même idée sur le graff ou sur autre chose, et il peut aborder dune autre manière, il peut essayer de sintéresser à ce qui se passe à côté. Lécole les gamins ont accroché très vite ce na pas été très compliqué au niveau de lutilisation de laérosol, pour les professeurs, cétait tout nouveau pour eux, beaucoup ont souhaité continuer sur un autre travail que ce soit sur des logos ou des choses comme ça avec dautres élèves, donc il y a eu le contact avec beaucoup de professeurs dart plastique et ça ma fait plaisir parce que les professeurs nétaient pas obligés de venir en école ouverte pendant les vacances scolaires. Si les profs étaient là avec leurs gamins cest que les profs étaient motivés et que les gamins y étaient aussi, cest le plus gros travail qui est fait avant quils viennent, donc forcément après tout dépend de moi, si je suis assez pédagogue ça ne peut que rouler ". (Blade, graffiti-artist)
Ici beaucoup de questions sont posées, la cohérence dans laquelle sinsère lintervention artistique, lavant et laprès dans la continuité du projet ; la connaissance et la compréhension du travail comme travail sur une forme artistique sur laquelle peut sinstaurer une ouverture, une relation pédagogique ; la sensibilisation et lentrée des participants non en tant que public captif mais public actif (démarche autonome), lespace dans lequel sinscrit latelier suivant quil est assigné à un territoire ou non, consacré à une fonction précise ou non.
Le public peut ainsi changer dune séance à lautre sans possibilité dun suivi même sur une période courte.
Là on nous dit quil y a un demi-atelier, on a fait un atelier où il y a quinze gamins. Aux dernières nouvelles on nous dit quil ny en a que deux qui pouvaient défiler avec les clowns ou trois, cest dommage quon ne puisse pas défiler avec des enfants qui ont travaillé dans le cirque et ont fait beaucoup de choses très intéressantes. On nous dit que cest parce quils sont inscrits avec leurs parents à défiler dans le char au niveau de leur quartier. Là les enfants aimeraient continuer à travailler avec nous mais on était obligé de respecter le temps et ne pas trop les retenir (Casset, Cie Côté Jardin)
Si latelier-résidence se comprend comme lieu dune rencontre privilégiée entre le cheminement dun artiste et lévolution dune forme populaire, la liberté de lartiste et la liberté de la population doivent pouvoir être assurées. En labsence de prise en compte de ces paramètres, bien souvent il revient à lartiste de jouer le rôle de médiation, est-ce sa fonction ?
" Il y avait des endroits où les MJC étaient fermées parce quil y avait des jeunes qui avaient tout cassé, nous on sest dit ces endroits là, ils ne faut pas lâcher, il faut quil y ait des jeunes qui soient là pour la parade. Dans un autre centre, il n'y avait personne qui voulait prendre des dispositions, cétait dur de faire des ateliers parce que ça avait chauffé avec certains jeunes et on voulait à tout prix quil y ait des ateliers dans tous les endroits de Bordeaux à peu près. On nétait pas quinze intervenants, on était juste sept en sorte de regrouper certaines cités, certains quartiers mais regrouper et de faire venir que des jeunes qui étaient motivés qui avaient envie de rentrer dans ce projet qui avaient envie de sinvestir. Au début on a rencontré plein de jeunes qui sont venus. Il y en avait qui venaient pour samuser, pour séclater parce que son copain était là mais ils nont pas pris conscience eux que cétait plus important encore. Alors ça fait quon a fait un peu une sélection, on a pris les meilleurs, ceux qui se débrouillaient le mieux et on sest retrouvé avec une centaine de jeunes et là ça tient tout à fait la route et ça me fait vraiment plaisir de les voir à la fin dune répétition faire un free style, séclater, vivre, rigoler tous ensemble, cest un pari, là ils ne se rendent pas compte. On les a tous réunis alors que jamais ils se sont rencontrés, jamais celui qui habite aux Aubiers il nest jamais parti à Cenon ou Lormont, peut être quil a rencontré des jeunes comme ça de vue mais ils nont jamais vécu quelque chose ensemble. " (Hamid - Cie Révolution)
Le lieu de latelier-résidence est là où réside le travail disions-nous en début de chapitre. Autrement dit ce nest pas le lieu qui détermine le travail mais le travail qui crée un lieu, le lieu dune mobilité spatiale et symbolique. Le corollaire de cette proposition est que lactivité ne peut pas être comprise de lextérieur. Latelier-résidence ne correspond à aucun présupposé, identification ou assignation, il est lhistoire dune rencontre en train de se faire. Rencontre entre des individus, rencontre entre des univers grâce à un certain rapport au travail, à la matière et aux formes.
Or, lorsque nous posons la question du relais, c'est-à-dire dune cohérence dans la durée, nous tombons vite dans une problématique de lieu en terme dassignation (social, géographique, etc.). Lartiste qui se retrouve seul à porter la cohérence dun projet doit alors jouer le rôle de médiateur. La médiation devrait être luvre dune vision densemble dans la cohérence dun travail sur la matière et les formes.
La préparation du carnaval marque la primauté accordée à la démarche artistique. Il semble que cest autour du choix dune démarche artistique que sest construit un ensemble plutôt que dintégrer des artistes dans un projet prédéterminé.
Cette volonté porte lambition de contribuer à la construction dune uvre collective. Le bon fonctionnement datelier-résidence implique cependant une vigilance constante même si les pratiques engagées relèvent toutes dune très haute exigence et compétence.
Un des principes de latelier-résidence sappuie sur une liberté et une capacité dadaptation réciproques. Cela concerne donc aussi bien les participants que les intervenants. Nous parlons bien dune histoire de rencontre, non dune transmission des savoirs à sens unique. La relation de réciprocité entre artistes et participants nest pas une simple relation déchanges mais sapparente plus à la relation de don. Cette notion dévoile une forme fondamentale de léchange général.
Une répétition " révolutionnaire "
Ouvrons ce chapitre par un exemple de répétition en atelier. La centaine de jeunes danseurs encadrés par la compagnie Révolution répète pour la dernière partie de la préparation du carnaval dans le gymnase du stade Lescure. La foule des danseurs à vite fait doccuper lespace. Une assemblée hétérogène provenant de toute lagglomération bordelaise. Plusieurs choses surprennent justement. Difficile de savoir qui vient doù, les groupes sont mélangés, une même passion de la danse semble tous les réunir.
De même pour la diversité des aptitudes, des âges et des morphologies. Chacun peut sinscrire dans le mouvement à sa manière, il ny a pas de credo ou de catégorie préalable, ni de tenue vestimentaire exigée même si pour des raisons pratiques le survêtement et les baskets sont de rigueur.
" Dans la parade on se retrouve avec peut-être soixante-dix filles et vingt-cinq garçons. Il y a des jeunes de 13/14 ans qui se débrouillent très bien, des garçons aussi bien que des filles. Les garçons cest très physique, au niveau du free style, des solos, les garçons étaient vraiment forts et les filles avaient cette peur dy aller. Ce quon sest rendu compte cest quau niveau des chorégraphies, de la synchro, les filles étaient parfaites, les garçons un peu moins. On commence à repérer ceux qui ont une bonne façon dattaquer le sol, qui commencent à avoir leur propre style petit à petit et après ils vont éviter de copier, ils vont transformer leur savoir-faire en autre chose, une autre gestuelle, on a tous des corps différents, on est tous constitués différemment, même quand on fait le même mouvement il nest pas fait pareil, jamais. " (Hamid - Cie Révolution)
Pendant les moments de pause la salle ressemble à une immense cours de récréation des cordes à sauter apparaissent, cest le double-dutch, discipline hip-hop très peu présente sur scène. Chacun sexerce individuellement ou collectivement en danse debout ou au sol, là un duo de up-rock se forme, là des six-step, là des ondulations, là un scorpion, là des tracks. Ceux qui nentrent pas dans la danse, regardent attentifs. Alternativement le public est danseur, les danseurs public. Échange naturel des savoirs, une réciprocité du don, un enseignement réciproque dans cette manière de se détendre tout en travaillant. Ni entraînement sportif, ni activité de loisir, ni travail à la chaîne, Les moments de pause sont tout sauf une pause.
Lentraînement reprend, cest le moment du travail chorégraphique et cette joyeuse foule se discipline en deux rangées qui défilent parallèlement. Dun clap de main Hamid prend la parole et le silence sobtient sans grande difficulté. Silence impressionnant après lapparent désordre de tout à lheure.
Ce contraste pourrait surprendre entre la liberté des pauses et la discipline de lentraînement. Il sagit pourtant bien de la même forme hip-hop qui possède cette qualité de laisser une large plage à la liberté individuelle tout en étant très codifiée dans sa gestuelle.
La troupe ségaille de nouveau et reprend le défilé en deux lignes sur un son funky envoyé par le D.J. La coordination des pas manque de précision, ce nest pas si facile de danser à 100, mais les automatismes semblent entrer progressivement.
Ce que nous soulignions précédemment : le cadre événementiel, la nécessité darriver à un produit fini relativement bien construit à lesthétique lisible dans un temps restreint, poussent les intervenants à brûler les étapes, du moins à intervenir de manière plus directive. Malgré cette contrainte, ils cherchent à préserver les principes de base dun espace de recherche et une formation à lautonomie.
" Pour que ça puisse être réalisable, si on avait dû préparer ça en un mois tous ensemble on n'aurait jamais pu, cest quelque chose qui était déjà réfléchi depuis deux, trois ans. Il y a beaucoup de jeunes qui découvrent la danse, on ne peut pas leur demander de sinvestir et de choisir la musique, les pas de danses, parce quils nont pas encore la maturité quil faut. On sait quon est obligé de leur amener le bagage, le matériel. Dans un premier temps, on a tous fait comme ça, on a copié sur dautres, à travers ça plus tard ils vont exploiter leur propre style, on va les pousser avec ces bases là à ce quils puissent réaliser des chorégraphies, leur propre travail. Cest pour ça quon ménage deux temps. Dun coté les différents intervenants posent des chorégraphies, telle technique. Dun autre côté on les pousse au niveau du free style, quils improvisent, quils fassent ce quils savent faire. On espère que plus tard qu'ils puissent continuer à chercher, à avoir cette envie de danser, dapprofondir. " (Hamid - Cie Révolution)
En fin de séance vient le rituel du free style, à la fois moment de détente après le dur labeur, mais aussi moment de régulation et de redistribution des compétences à la codification complexe. Ni totalement travail formalisé, ni totalement détente débridée, là encore un autre moment dexercer le mouvement et sa passion. Deux grands cercles se forment. Toujours la réciprocité entre danseur et spectateur, le cercle des spectateurs composé de danseurs soutient, motive et donne le rythme en claquant des mains. Un danseur se lance dans le cercle, il se doit de présenter le meilleur de lui-même : ses nouvelles acquisitions techniques, trouvailles personnelles. Bref il expose sa recherche individuelle, son style, sa griffe dans la manière dengager les pas de danse.
Chacun peut présenter sa spécialité, danse debout ou danse au sol, se démarquer, cest le défi où deux ou plusieurs danseurs évoluent en même temps tout en se jaugeant.
" Dès le début on leur impose dêtre en ensemble, en groupe et dun autre coté de pouvoir faire du free style, entrer dans les cercles, ne pas avoir peur, et improviser. Par exemple il ne faut pas quils se jettent comme ça et quils fassent des grosses figures (figures de break au sol), quils sachent passer par le pas de préparation (up-rock), quils puissent descendre, et faire des bons six-step et tout le travail des pieds, quils puissent faire les phases en évolution, quils puissent passer toutes les étapes parce que cest un tout. Lesprit du cercle ça en fait partie, sils oublient, ils vont entrer dans un moule sans pouvoir faire toutes les techniques. " (Hamid - Cie Révolution)
Bien sûr les plus expérimentés ont tendance à entrer plus facilement et plus souvent dans le cercle. Mais les débutants sont soutenus avec la même vigueur. Pas de discrimination, une jeune fille de forte corpulence, danse avec une camarade plus mince. Des filles ou des garçons, des grands ou des petits, cela ne fait aucune différence. Ce qui est important, cest de montrer le chemin parcouru, le travail fourni, sa personnalité, même si la virtuosité et la technique comptent aussi.
Ainsi cest un moyen déchanger, de trouver des repères par rapport aux autres, de progresser. Des chorégraphies collectives sont aussi présentées, il sagit des groupes qui ont travaillé dans leur ville des pas de danse et les présentent.
La géométrie du cercle symbolise lesprit dune unité en construction. Pour que les éléments sassemblent dans une totalité qui fait sens, il faut quils commencent par se distinguer dans une affirmation individuelle. De cette rencontre conflictuelle où chacun se positionne dans un défi naît la prise de conscience que ce combat est un combat collectif pour défendre des valeurs communes. Cette alchimie complexe entre lindividuel et le collectif, la confrontation et lunité, lélément et la totalité, caractérise létat desprit " hip-hop " mais peut être plus largement est constitutif de la structuration dune forme populaire.
Les danseurs de la compagnie Révolution entrent aussi dans le cercle, une manière de dire et de rappeler queux aussi ont été à cette école de la rue et gardent toujours le lien avec cette manière basique et pourtant complexe de transmettre les codes de la danse. Une manière dinstaurer le principe dégalité, daccepter la confrontation du défi en prenant le risque de se faire jauger, mais en assumant ce rôle de repère.
Juste avant le jour J, dans le grand Hangar 5 sur les rives de la Garonne a lieu la répétition générale des danseurs du défilé hip-hop. Jusqu'à maintenant, il ny avait pas despace fermé suffisant pour mettre en volume le travail chorégraphique de la compagnie.
La centaine de danseurs sont répartis suivant les deux files qui séparent les purs " hip " et les pros " hop ". Entre les deux les danseurs professionnels de la compagnie Révolution assurent à la fois le lien physique de la cohérence scénographique et symbolique du message dunité.
Le défilé est composé de deux groupes ou équipe dune cinquante de jeunes qui marchent en deux files parallèles, se rencontrent, saffrontent et se réunissent. Pour la parade, il y a deux types de marche : des figures géométriques dans lespace où ils se croisent et une marche groove composée dun ensemble de cinq pas. La marche est alternée de défis collectifs où les deux groupes bleus et rouges saffrontent en cercle à travers des chorégraphies suivant quatre cycles de danse représentant les techniques de base : les danses en top-rock, le boogaloo constitué de plusieurs techniques de danse debout (tétris, égyptien, etc.), le break (danse au sol), est rajouté un quatrième cycle qui fait un mixage et un brassage de tout. A la fin du défilé, tout le monde se retrouvera sur une estrade pour un free style géant. La danse est rythmée par une musique mixée en live par le D.J. : disco, électro, les vieux sons des années 70/80 comme le fameux Grand Master Flash qui marque avec son Message les origines du hip-hop. Le défilé représente donc également loccasion dexposer à travers la danse et la musique, un raccourci de la variété et de lévolution des disciplines hip-hop aussi bien pour sensibiliser un large public que servir de repère pour les jeunes participant à latelier.
" On avait écrit une histoire sur les purs " hip " et les pros " hop " qui étaient sur la planète zulu, qui se battaient, qui se déchiraient, on a mis en place un conflit pour arriver à une unité. Cest vrai quand on a commencé la danse, on se faisait la guerre, mais cest à travers cette guerre quon a compris quil fallait sunir pour pouvoir avancer et cest ce quon transmet dans ce spectacle Trop puissant. Au début ça commence par un conflit entre les purs " hip " et les pros " hop ", un groupe en bleu, et un en rouge qui se battent à travers la danse et à la fin on transmet le message dunité, on les fait tous se réunir et ils vivent un moment fort pour leur montrer que ce combat ne sert à rien et ne mène à rien puisquils ont des visions différentes mais il vaut mieux quils sunissent puisquils défendent les mêmes valeurs de respect, dunité, cet esprit de famille. La culture hip-hop cest montrer que les jeunes sont là et quils existent, quavec cent dix personnes qui sont positives on peut faire vibrer un public. On voulait que ce soit une création où les jeunes puissent atteindre un niveau semi-professionnel, pas des danseurs qui avancent sur une musique mais un spectacle du début à la fin, avec une mise en scène, une recherche musicale. Au niveau des autres intervenants (D.J., narrateur, costumières) on a essayé de sentourer des meilleurs, des gens qui étaient déjà assez murs et qui avaient fait un travail avec dautres chorégraphes. " (Hamid - Cie Révolution)
Lieux et mixité des publics
La liberté commence par la diversité du profil des participants, de la provenance (sociale, géographique). Cependant, comme nous lavons noté, le lieu où se déroule latelier influence grandement le type de public suivant que ce lieu soit catégorisé " social " ou " culturel ".
Réfléchir en terme de fonction du lieu nous ferait entrer dans une explication causale : il y aurait tel public pour tels lieux culturels et tel public pour tels lieux sociaux, pour telles raisons. Nous pouvons imaginer si des jeunes et des artistes sengagent, les fondements de cet engagement sont dune autre profondeur.
Le principe de latelier-résidence implique que lon ne peut pas définir ce qui sy déroule en partant dun cadre extérieur mais de lintérieur même de la situation quil provoque. Cette situation ne serait pas de lordre dune conséquence sociale ou artistique mais dune création sociale et dun travail artistique.
Idéalement, cela se traduirait par le fait quun public du centre ville puisse assister à un atelier en périphérie, latelier en centre social ne devrait pas uniquement concerner la population du quartier. De même latelier dans un lieu culturel consacré comme lécole de musique ou le musée dart contemporain ne devrait pas toucher quune catégorie de personnes.
Notons que ce principe est difficile à réaliser. Dautre part, il semble plus facile pour un lieu culturel de souvrir sur un public socialement différencié que pour une structure dans un quartier populaire. Ainsi les ateliers animés par la fanfare cubaine dans les écoles de musique naccueillaient pas uniquement des élèves de lécole, de même pour latelier au centre dart contemporain dont les participants sont venus dans le cadre dune collaboration avec différentes structures.
Ce dernier lieu par exemple crée une ambiance particulière. La voûte imposante au dernier étage du musée inspire apparemment plus au recueillement quà lanimation dun atelier denfants. Sans doute cela nest pas sans influence sur lambiance plutôt studieuse qui règne sur la confection des déguisements. Les habillements sont conçus suivant le principe de laccumulation, : bandes de journaux, éponge, tissus sassemblent en habits dun univers fantastique que les enfants sempressent dessayer.
Des rencontres surprenantes aussi se produisent comme dans les locaux de lAssociation des Paralysés de France entre les enfants dun centre danimation et les handicapés. Selon la technique du pochoir, des ponchos qui habilleront les handicapés sont décorés par les enfants à la peinture aérosol. Wal, la costumière du carnaval apporte son savoir-faire pour décorer de paillettes les tubes flexibles qui viendront transformer les fauteuils roulants en drôle danimaux.
Le lieu de répétition de la Cie Révolution, le gymnase du stade Lescure (voir plus haut) offre un espace de regroupement échappant à une assignation territoriale ou une prédétermination sociale. Malgré la centaine de jeunes présents, une harmonie étonnante règne. Globalement, les jeunes auraient été très peu concernés par lévénement sil ny avait pas eu ce travail qui touche dailleurs une tranche dâge étendue, du pré adolescent au jeune adulte.
Notons également que laspect inter-générationnel est bien plus vaste pour les ateliers des écoles de musique que dans les structures de quartiers.
La préparation du carnaval sest déroulée durant le temps des vacances scolaires. Comme le notait le graffiti-artist qui est intervenu dans le cadre des écoles ouvertes, le public est paradoxalement plus libre et diversifié à lécole que dans un centre danimation.
Si tout le monde est libre de sinscrire et de participer à un atelier, nous voyons que cette liberté est plus ou moins facilitée alors que cest une base incontournable dans la réciprocité des échanges.
Cependant deux éléments viennent atténuer cette influence du lieu : la capacité de se concentrer sur un rapport au travail crée un espace en soi dégagé des contraintes du lieu ; la diversité des lieux dintervention sur un plan géographique (villes de rive droite et de la rive gauche) et institutionnel (école de musique, centre social et danimation, centre dentreprise, collège, etc.).
Enfin lexistence cette année dun lieu central " neutre " dans sa position géo-institutionnelle, le Container, à la fois lieu dateliers et quartier opérationnel de lévénement a favorisé un échange des publics.
Au final le carnaval a touché une grande diversité de la population mais peut-être est-il plus représentatif dune juxtaposition des publics des différents ateliers quune rencontre au sein des ateliers dun public diversifié.
Le principe de liberté sous-entend que chacun puisse trouver et prendre une place sans discrimination ou distinction. Ce qui importe, cest la démarche, une aptitude à sengager dans un travail, non une appartenance ou une apparence.
Principe de réciprocité
Nous appelons sous-cadre, lespace particulier créé par le travail en atelier. Il se place à lintersection du cadre primaire dune forme populaire (rites sociaux, processus dintégration et dindividuation) et du cadre secondaire de la résidence (rapport au travail, processus de recherche créatif, mise en visibilité dune forme). Il nest pas facile de concilier dans un même mouvement ces deux dimensions : la compréhension et la prise en compte des interactions propres à une forme populaire et lexigence artistique dun travail sur la matière déconstruisant et reconstruisant les formes.
" Tout dépend de la prédisposition de lartiste lui-même, si mentalement il est déjà riche du milieu quil va intégrer, cela va sans dire que le jet se produira parce dans chaque homme quil soit adulte ou enfant, il est tapi quelque part et entend sortir. Une fois que le contact est là, le thème, le sujet est développé devant les enfants, les matériaux sont bien étalés, ils ne cherchent quà sexprimer. Et ça, cest bénéfique pour moi, ça mapporte beaucoup parce que les deux concepts sont là, non seulement leffort quils mettent à comprendre à appréhender les thèmes quon leur développe, leffort quils mettent à produire quelque chose, mais au-delà de tout cela, ce qui émane de ce regroupement dindividus que je vais intégrer, que cela soit sur une journée ou une demi-journée, durant ce temps là cest un temps intense de communication, de questions curieuses et qui ouvre forcément la porte quelque part pour le jeune de découvrir le monde à travers les arts, à travers les expressions picturales. " (Nabisco, plasticien)
Cet espace particulier représente loccasion de tisser des relations inédites, à la fois cadrées selon un minimum de règles de conduite portées par lexigence du travail mais aussi la plus libre et ouverte possible afin de favoriser une rencontre.
" Cétait la première crainte des professeurs, quaprès latelier le collège soit tagué le lendemain, certains me lont dit texto, dautre non, jai vu des proviseurs très ouverts qui ont très vite accroché et qui navaient aucune crainte. Au niveau des gamins qui risquent de déborder cest un peu mon rôle à moi, si je fais bien passer le message comme il faut, il ne devrait pas y avoir de débordement même si on ne contrôle pas tout. Ca mest arrivé de faire des murs en commun avec des ateliers sur Lille avec les jeunes des quartiers, on avait un mur pour sexprimer, on leur donnait un petit coup de main technique et il ny a pas eu de débordement, après se sont les intervenants, cest par rapport à leur pédagogie. "(Blade, graffiti-artist)
Pédagogie du mouvement
La présentation des modalités dintervention des artistes en atelier nous montre la richesse des approches. A la fois, il ny pas une méthode ou une recette, chacun construit son approche suivant sa personnalité, son expérience, les particularités de sa discipline. Pourtant une unité pédagogique apparaît dans le respect mutuel et la réciprocité des échanges. Cest connaître en mesurant son ignorance, saccomplir en mesurant son inachèvement.
" On a travaillé sur limagination. Il y avait un enfant qui était très imaginatif, il raconte tout le temps des histoires. Mais quand on faisait ces exercices là, rien ne venait. Il flambait dans le centre quand tout le monde était là alors que ceux qui étaient les plus pondérés étaient les plus imaginatifs et lui qui était le plus exubérant, sur la scène était le moins imaginatif et il retournait énervé. Il a fallu dun petit exercice pour quil voit un peu ses limites et je suis sûr quarrivé chez lui il aura réfléchi et pu prendre un nouveau départ par rapport à sa propre vision des choses. Du coup cest une autre valeur qui va sajouter à lui et donc se sont des choses psychologiques comme ça quil est très intéressant de déclencher chez ces enfants là. " (Mohkrtar Clown - Carnaval)
" Lorsque des gens dailleurs débarquent dans un centre, dès quon arrive, ils nous regardent bizarrement, mais dès que les ateliers ont commencé, le contact passait. Il ny a pas de séparation. Dans le travail on a voulu laisser tout un chacun aller dans sa sensibilité, de faire ce quil a envie de faire, quil ny ait pas trop de garde-fou. " (Casset, Cie Côté Jardin)
" Javais deux sortes denfants dans mes ateliers : il y ceux de lhôpital de jour qui avaient des problèmes, ils avaient du mal à sexprimer et puis il y avait un deuxième groupe denfants des quartiers qui sont les enfants un peu difficiles. Le premier groupe, ils étaient en groupes réduits avec une animatrice formidable. Je leur ai à peu près appris à faire toutes les techniques que jemployais, ce qui ma surpris même parce que javais un petit peu peur au départ, jai réussi à faire souder des enfants qui avaient du mal à sexprimer, jai réussi à leur faire faire des choses et jai été très content de les rencontrer. Ces enfants de lhôpital de jour on ne les voit jamais, se sont des enfants que lon considère un peu comme des légumes, ils ne sortent jamais. Je leur donne lopportunité de travailler et de voir que leur travail peut être utile. Là ils voient que cest pour décorer, que ça servira, que ça sera vu par dautres gens. Le deuxième groupe, les enfants un peu plus difficiles, les enfants de banlieue comme on dit, la première fois cétait un peu difficile, je ne savais pas trop comment les aborder, par quelle activité ou par quel concept les prendre, alors quaprès tout moi je suis un simple individu, je suis là pour quil y ait un échange, on est là pour faire une uvre commune. Peut-être aussi si lanimateur participait à lactivité... Puis la deuxième et la troisième fois spontanément ils ont demandé à travailler, à participer, et ça sest très bien passé, ils ont bien voulu faire de la soudure, maider simplement à entortiller les bouts de fil de fer qui était un travail très répétitif, un travail répétitif qui est une sorte de travail de mosaïque quand toutes les choses sont assemblées les unes à côté des autres ça fait beau comme ils disent. Jai un petit truc maintenant dont je me ressers, cest que quand ils ont fait une activité un jour, le lendemain je leur demande dêtre eux les professeurs, cest eux qui font la leçon qui apprennent à leurs copains. Cest un petit truc qui permet de décoincer beaucoup de choses, et qui permet davoir une sorte de construction théorique du travail, ça permet de formaliser leurs idées, le fait quils se posent, quils ne disent pas nimporte quoi pour que les autres comprennent. Et ça ils ont peut être réussi à le comprendre quil fallait être plus humble, peut être. " (Jacques Franceschini, plasticien)
Le sens dune totalité et léducation au rêve
Il sagit de donner sens aux actes dans la compréhension dune totalité. Dans les ateliers de la fanfare de cuba, le chef dirige son orchestre dune main assurée. Malgré la barrière de la langue, ses paroles sont bien répercutées et sans hausser le ton dégage une autorité certaine. Les musiciens de la fanfare sont répartis dans lorchestre et assurer ainsi une harmonie générale. Ce nest pas simplement une présence technique. Ils se distinguent par les solos des cuivres qui donnent une autre chaleur musicale. Ainsi une cohésion générale émerge, nous retrouvons ici le sens dune totalité qui bat en rythme.
" Ce que nous avons fait au niveau des ateliers cest une petite fanfare, une petite banda de quatorze et dans laquelle nous incluions des musiciens dautres bandas pour faire une vraie banda. Les élèves étaient entre les musiciens cubains de manière à faire une vraie banda parce que dans une banda, il ny a pas juste deux cuivres et deux trompettes, il y a au moins, quatre, cinq, six trompettes, afin de recréer une vraie banda avec une moitié de cubains dedans. Ca reprend aussi le sens de communion et de cohésion, le fait que les musiciens jouent avec. " (A. Castillo Penalver, Banda de Santiago de Cuba)
En atelier, tout nest pas réalisable mais avec un peu dimagination, on peut faire beaucoup avec pas grand chose.
" Moi se sont de petites choses, ma technique cest plutôt montrer comment réaliser un rêve cest tout. Ce nest pas dire, je vais faire une poupée énorme, non, cest faire sortir quelque chose du dedans. Javais une petite fille tout à lheure, elle avait froid dans son manteau. Jai commencé à lui montrer mais elle naimait pas, et dun coup jai compris, elle veut rire, elle veut que ça soit créé autour delle et jai pris une plume, un bout de tulle, je lai entourée avec et elle sest vue elle-même en princesse. Là elle va sortir delle-même quelque chose qui devient réel. Il y aura aussi beaucoup de papillons parce quils demandent à senvoler. A partir dune petite idée, tu commences à transformer, transformer avec de limagination, cest très simple de pouvoir créer des choses. Sur demande je vais dans un centre. Jétais cette année pour la première fois dans un centre danimation de la SNCF, cétait doux, harmonieux, les enfants navaient pas encore didée. Dans une après-midi on a discuté sur un thème, sur ce quils voulaient les garçons et les filles, on a commencé à le faire, on la fait, ils ont construit un modèle eux-mêmes. Les éducateurs ont appris la technique. Dans un autre centre les couturières mont demandé comment faire pour avoir plus de techniques, être plus précises, par exemple comment obtenir tel résultat avec des pétales de fleurs, il y aura beaucoup de gens qui se déguisent en fleurs. Dans un centre, ils ont choisi comme thème la peur, déjà jai trouvé bizarre, se déguiser pour faire peur aux autres, et jétais avec des jeunes filles à lentrée et jai posé la question, mais vous vous déguisez en quoi : des meurtriers et jai dit quoi des assassins ! Ils sont extrêmement fermés dans leur truc mais dune manière tellement violente, les filles aujourdhui sont beaucoup plus agressives. Elles sont parties tout de suite, elles nont aucun intérêt. Il faut laisser le temps passer, ils vont avoir un regard vers eux-mêmes, ladolescence on le sait bien cest compliqué en plus dans cette société où ils nont pas vraiment des exemples. Il faut donner cette possibilité de sexprimer, de participer à un événement dont ils garderont le souvenir toute leur vie, ça peut aider à changer et à choisir un chemin. Cest ça lesprit du carnaval, construire quelque chose, échanger les connaissances, le savoir-faire de chacun, le savoir-faire de chacun pour la construction de quelque chose qui appartient à tout le monde. " (Wal - Costumière)
Latelier dans son principe datelier-résidence constitue moins lenseignement dune connaissance académique quune éducation à lautonomie entre savoir être et savoir-faire à limage des intervenants artistes qui ont développé leur propre parcours autodidacte. Cependant, bien sûr le développement dune autonome ne peut se réaliser sans lacquisition de certaines bases qui permettront plus tard dexpérimenter un travail sur la matière.
" Un jeune ne peut pas savoir danser sans savoir ce quil fait, beaucoup prennent des cours mais ils ne savent même pas ce quils font. Il faut répéter sans cesse le nom des mouvements et les techniques quils emploient. Les garçons voudraient faire que du break, être uniquement au sol. Nous faisons comprendre que la danse ne se résume pas à faire du break en solitaire. Parce quaprès, quand il sagit dêtre dans un ensemble, on est perdu, on ne sait pas compter les pas, être sur la musique, on sait juste faire des mouvements, cela devient la gym sans pouvoir réaliser une chorégraphie. Ils découvrent, ils apprennent, ils ont pris conscience un peu de limpact que pouvait avoir cette parade et dêtre unis tous ensemble. En tant que professionnels il y avait de bonnes choses à prendre et pour les jeunes, ils savent quils ont quelque chose à apprendre au niveau de lhistoire, au niveau des mouvements. Plus tard on espère continuer ensemble quelque chose, faire évoluer cette parade. Cest comme quand la compagnie prépare une création, cest dur mais dès quon aboutit sur scène ou dans la rue, on vit quelque chose de fort et on se dit, on ne va pas lâcher, on va continuer, alors on essaie décrire dautres projets ou dautres choses, faire passer du plaisir, vivre un moment fort. La Cie Révolution, on lavait créé avec des rêves, on se disait plus tard on ira aux États-Unis, et on y est parti, cétait une bonne expérience. En leur donnant la chance de faire quelque chose, un travail, un projet artistique avec du rêve on peut accomplir quelque chose de magnifique et de grand. " (Hamid - Cie Révolution)
Le travail en atelier est celui sur une matière qui se transforme (prend forme). Il exige une technique, des règles, des compétences, des savoirs, une énergie, une intention, une direction. Lacquisition de cette maîtrise implique en amont une transmission et une initiation. Nous pourrions alors proposer latelier comme le lieu du travail où la matière se transforme sous les mains expertes du maître ou dindividus accédant à une maîtrise.
Le participant à latelier dit " je travaille ". Cest ce qui réuni lélève au maître qui linitie. Entre lapprentissage des bases techniques et le développement dune recherche, la simple pratique dune discipline et laccomplissement dune uvre, au même plan dégalité se place lacte du travail, la matière travaillée et la production du travail.
Le travail de la matière
Les intervenants nont de cesse de rappeler que la pratique artistique est un véritable travail. Malgré lapparente spontanéité de lexpression, il ny a rien qui ne sacquière autrement que dans une confrontation avec une matière qui oppose une résistance. Cela nenlève rien à la passion mais la liberté du mouvement se réalise dans la gestion des contraintes.
" Quand on dit travail, ce nest pas du tout péjoratif pour moi la pratique régulière, au début cest difficile, cest comme faire ses gammes, pour les gosses cest difficile. Ils me disent "mais Monsieur on sait faire" parce quune fois ils avaient vu leur père ou leur grand-père souder, on n'avait pas besoin de leur apprendre Alors que les choses ne sont pas comme ça, il y a une résistance des choses, il y a une résistance de la matière et puis on a notre propre résistance, on croît quon va être capable ou simplement physiquement de passer un quart dheure à genoux et on est pas capable, moi jinsiste beaucoup sur la pratique, de répéter les choses et cest en répétant ces choses quon perçoit de plus en plus de sensation et finalement ce qui est le plus intéressant cest de travailler avec des gens qui ne savent pas travailler parce que tu es obligé tellement de te mettre à leur niveau et cest cette pratique que tu as accumulée qui te permet de sentir la non-capacité des autres à le faire. Cest pour ça que jaime beaucoup quil y ait une pratique régulière, ça cest le travail sur la vie en général. " (Jacques Franceschini, plasticien)
Nous pourrions comprendre ici le travail dans un sens premier, vital. Il ne sagit pas simplement de laction caractérisée par un effort, une charge ou une pénibilité, de lactivité professionnelle régulière ou cyclique garantie par une rémunération, de la finalité dune production au moyen dune transformation de la nature. Cest le travail sur la matière du monde. Celui qui donne sens et libère. Ce nest pas une activité donnée dans un but donné, cest un processus existentiel quaucun travail concret, aucun bien matériel ne peut assouvir ou assécher, cest trouver un sens dans un accomplissement et un dépassement. Suivant les parcours artistes, cet accomplissement prend différentes formes.
" Pour un genre dacteurs comme le clown, ils pensaient que tout le monde pouvait être clown, quil sagissait davoir le nez rouge, des habits larges et que cest terminé. Jai eu beaucoup de réactions dans ce genre là, des enfants ou même des adultes qui regardaient un peu, qui ne pouvaient pas imaginer quen fait, il y avait un cursus pour arriver à déclencher un rire. Cest une somme dexercices, de pratiques, cest un travail précis, avec une constance et une rigueur qui tamène à ce jeu là. Il y a même le culte du travail qui revient encore dans limaginaire de lenfant, les choses ne sont jamais acquises et cest en bas âge que lon doit inculquer ces valeurs là, que les choses ne sont jamais faciles et ne tombent pas du ciel, quil faut travailler pour y arriver. Ca cest une idée qui restera chez les soixante-dix enfants à peu près quon a eu à fréquenter. Ce qui est à prévoir maintenant, cest quils aient une nouvelle intelligence par rapport au jeu du théâtre, quils pourront communiquer autant à leurs parents quà leurs copains pour leur montrer, parce quils lont vécu ". (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
" Je me rends compte que cest dur pour eux parce que une fois que tu prends un thème que tu leur dis après léchauffement quand tu poses la mise en scène, le placement des gens, du coup il est perdu, il ne sait plus quoi dire. Tu lui expliques que quand tu es dans ta chambre tout seul tu peux jouer à Tarzan mais que quand il y a un public cest différent et à la fois ils comprennent, je pense que quand ils iront au théâtre voir un spectacle, ils comprendront la difficulté que rencontrent ces comédiens dans leur travail. " (Marianne, Cie Côté Jardin)
" Le clown ce nest pas un personnage comme ça qui a juste un talent qui sait faire rire, quil a suivi des cours de théâtre, quil a fait des exercices, donc on leur fait faire les mêmes exercices que pour nous, même si ce nest pas pour le carnaval mais pour eux-mêmes, quils comprennent que le clown ce nest pas un personnage qui est venu comme ça, qui est arrivé. " (Patricia , Cie Côté Jardin)
La matière du travail
Ainsi les techniques ne sont que des outils, non des fins en soi pour développer une approche complète du corps et de lesprit. Il sagit doffrir les meilleures conditions pour que chacun développe son propre cheminement.
Matériaux
" On sait quil ne faut pas casser les corps, avoir vraiment une bonne technique déchauffement, une bonne méthode de travail. Plein de jeunes ne sont pas souples et ne connaissent pas la notion de faire attention à son corps, de séchauffer, ils y vont à larraché et puis plus tard là ils prennent conscience, on ne peut pas tourner sur la tête et faire cinquante tours sur le bras tout de suite, tout doucement il faut prendre le temps, les années et les années, jusquà atteindre une bonne maturité pour pouvoir faire la route ". (Hamid - Cie Révolution)
Les techniques et les styles ne se conçoivent que dans une approche complète.
" Cette après-midi je vais proposer de décorer les petites voitures des handicapés en soucoupes volantes, en martiens, en astronautes, des trucs comme ça. Faire des choses merveilleuses avec rien. Au début je proposais, il faut des cartons, papier crépon, il faut du fil de fer, il faut du scotch, des agrafeuses et après on fait les bases, cest de les amener à leur montrer que tu peux faire tout et nimporte quoi. Moi jamène les paillettes comme je dis tout le temps, si tu mets un petit peu de brillance ça fait sortir les couleurs, en plus dans un pays où il y a beaucoup de gris. Cest plutôt les petits trucs quon peut faire sortir dun bout de plastique qui nest rien, dun coup ça transforme tout, des trucs simples que lon fait avec du papier, avec des matériaux, avec danciens costumes tout est récupération. La demande est maintenant beaucoup plus sophistiquée. Cette année jai démarré un atelier de maquillage, pas comment on se maquille parce que ça, nimporte quel magasine peut te lenseigner mais comment tu peux créer ton propre maquillage à partir de trucs que tu trouves dans les supermarchés, principalement des produits de bébé comme base parce le maquillage déjà tout prêt cest hyper cher. Quand jétais petite mes premiers rouges à lèvres, le les faisais avec du beurre de cacao et du jus de betterave, je créais mes maquillages " (Wal - Costumière)
" Cest léternel débat sur lart contemporain, moi je suis dedans. Je suis quand même pour la matière. Pour beaucoup de sociologues de lart, la matière est très gênante, sils pouvaient sen passer. Et cest le problème de la faculté, ils font un atelier, ils font appel à des praticiens mais ça leur pose un problème, ils ne veulent pas donner de sous, ils ne comprennent pas que ce soit dangereux quon prenne des risques, quil y ait un résultat, quil faut une pièce pour pouvoir stocker. Pour eux, ce serait bien si cétait tout : une phrase sur un papier quon referme. Je pense que la sculpture cest aussi de la matière ". (Jacques Franceschini, plasticien)
" Il y a eu deux choses différentes, il y a eu la confection de costumes à partir déléments récupérés, cétait les bouteilles en plastique, avec lesquelles on faisait une sorte darmure et ensuite la couleur définissait lanimal ou lélément dans lequel étaient déguisés les enfants. Ils pouvaient très bien être déguisés en insecte, il suffisait de peindre en dégradé de vert ou dautres couleurs avec le maquillage qui va avec. Ils pouvaient choisir tout ce quils voulaient, je leur ai imposé simplement le fait de travailler à partir de bouteilles, de carton et pour les peindre loutil cétait laérosol, la bombe de peinture, ça cétait pour les plus jeunes, parce que entre 6 et 8 ans ce nest pas évident de les faire travailler sur des grandes lettres au niveau échelle. Pour les plus grands, cétait de travailler sur la lettre, ils choisissaient une ou plusieurs lettres, quils transformaient, quils personnalisaient, lidée principale du graffiti cest de prendre une lettre et la transformer, la personnaliser. Je nétais pas derrière eux à dire non ça ne fait pas lettre graff etc. tant quils faisaient une lettre préparée, modifiée à leur manière cétait très bien. Pour certains collèges chacun travaillait sur une lettre différente, pour un autre collège cétait tous ensemble sur le même nom du collège en faisant une grande banderole avec chaque lettre selon un style différent, ils travaillent le fond en commun et ensuite ils reviennent travailler les détails, les mises en lumière, les reliefs en commun, donc il y a le travail individuel et collectif en même temps, le travail individuel cest chacun avec sa lettre, il la met en couleur, il la met en forme et le travail collectif cest après relier les lettres par des couleurs et faire en sorte davoir un tout assez homogène " (Blade, graffiti-artist)
Technique
Quelle que soit la forme disciplinaire, une fois les bases acquises, la technique est au service dun cheminement. Il sagit dinoculer lenvie dapprendre, de persévérer et de rechercher aussi bien pour son développement propre que pour le développement dune forme artistique. La question ne se pose pas dune séparation entre amateur ou professionnel, le cadre de latelier nest ni une école de loisir, ni un centre de formation, à la fois une sensibilisation au travail, à lart au service de la vie, de la découverte en fait dun mouvement ou dun processus.
" Il peut naître un autre type de travail où lon retrouve vraiment un sens. Les deux sont liés. Je parlerai du geste, cest le sens qui donne un beau geste. Ce qui reste dans la pratique artistique, cest quand même le geste. Je ne suis pas assis à une table ou je ne fais pas mon petit modelage en plâtre, je suis libre de mes mouvements. Dans les cours que je donne à la fac jessaie de leur apprendre, dessayer dêtre libre de ses mouvements, de savoir se mettre à genoux, dessayer de tourner autour de la chose, de la regarder sous des angles différents, de se méfier de la facilité, cest-à-dire quand ils sont satisfaits de leur pièce, de lattraper et de la retourner parce quil y a tellement dautomatismes qui viennent facilement. Je leur dis vous avez fait ça, vous êtes satisfaits, bien essayez de laisser tomber ce point de vue, vous lattrapez, et vous la retournez, vous la déséquilibrez, ils ne sont pas très daccord parce que cest comme si je leur demandais de sacrifier leur travail, ce nest pas ça que je leur demande, cest de le voir sous un angle différent. En sculpture cest ça, pour moi, une cohérence de lobjet dans lespace ". (Jacques Franceschini, plasticien)
" Cest beaucoup le travail de taille, de dimension parce que faire des lettres sur une feuille ce nest pas la même chose que de faire des lettres dun mètre et puis faire des lettres sur un panneau en bois et ensuite les faire au mur. Si on fait un travail à lannée, les gamins pendant un mois je les faisais travailler en noir et blanc sur du papier, ils ne touchaient pas à un seul feutre de couleur ni bombe de peinture, ce nest que des lignes extérieures en noir et lintérieur en blanc. Je leur dis le squelette, la structure cest ce qui est le plus important, ensuite les couleurs ça vient après. Ensuite passer au fusain noir et blanc, donc toujours pas la couleur pour les faire travailler sur lombre et la lumière, on revient aux techniques traditionnelles de la peinture, lombre et la lumière on les travaille toujours avant dutiliser les premières couleurs. Ensuite, je les fais travailler sur leurs esquisses faites au départ pour mettre des couleurs, couleurs primaires, couleurs complémentaires donc revenir sur les bases de dessin pour avancer, etc. travailler à lencre, leur montrer le plus possible de techniques de peinture avec le graff. La finalité cest le mur, entre temps il sest passé des mois, on est passé à des supports de plus en plus grands, du A4 au format grand L, de plus en plus rigides, feuilles cartonnées, feuilles canson de plus en plus épais, du papier carton, des petits panneaux en bois de 5mm, du 10 et la finalité cétait la réalisation dune fresque mais il sest passé une année scolaire et la réalisation dune fresque a été très bien et le résultat a été impeccable. Ils peuvent ensuite commencer la fresque comme un graffeur confirmé par les traits desquisse, la bombe de couleur claire, la mise en couleur du fond, les tracés, les contours des lettres, la mise en lumière, etc. je navais quasiment plus besoin dêtre là, même au niveau de la mise en place, ils navaient plus besoin de moi, je nintervenais quau niveau technique pour les coulures, pour tel ou tel effet sils ny arrivaient pas, mais cest tout. On a besoin de tout cet acheminement pour y arriver alors que moi-même dans mon parcours je ne suis pas sûr davoir pris tout ce temps là pour réaliser des fresques. Ensuite cest à eux de progresser, sils veulent continuer, ou sils ne veulent plus mais ils auront vu pendant un an de leur vie ce quétait le graff. Ils reprennent des esquisses plus compliquées, plus complexes, plus recherchées pour en arriver à un travail en couleur plus recherché. Certains vont se dire dans lannée, je vais travailler avec de lencre de couleur parce que jaime bien ça, ils vont se trouver des formes dart et des techniques propres à eux et ils ne voudront peut-être plus faire de graff et ils voudront bosser quau fusain et ils vont sintéresser à tout le travail quil faut crayonner ou ils vont sintéresser à lencre ou à la gouache ou à la sculpture, ils vont sintéresser à dautres formes dart, et ça peut donner une nouvelle dimension à la forme hip-hop, un nouveau souffle " (Blade, graffiti-artist)
Les clowns utilisent de nombreuses techniques, la jonglerie, le théâtre de situation, la mise dans lespace , le travail sur les mimiques, le travail de mime. Ils disposent dun jeu de palettes très large en ce qui concerne les outils, ouvrant sur une variété d'interventions.
" Pour les enfants aussi cest important quils puissent se situer dans lespace, cest important quils puissent maîtriser leur corps, utiliser leur imagination et il faut quils sachent quils peuvent faire plein de choses avec leur corps, par exemple ils peuvent sortir un balais en le jouant sur eux mais déjà il voit que cest un balai, cest le travail quon fait un peu avec eux " (Marianne, Cie Côté Jardin)
" La variété des choses font de telle sorte que tu touches tout un chacun, peut être à quelque chose qui agresse ou a agressé ses enfants. Et les baffes et les coups quon subit, les gens ont eu mal pour toi. Lhumour permet de faire passer des choses que si tu les disais directement pour ne pas choquer " (Casset, Cie Côté Jardin)
Des repas de quartiers et repas musiques se déroulent le soir durant toute la préparation du festival. Ils représentent loccasion douvrir dautres espaces de rencontres, bien que la physionomie de ces soirées soit très liée à lhistoire du lieu. En cela, la façon dont se déroule ces repas est représentative des relations entre la structure de proximité et le quartier et de lhistoire même du quartier. Dans certains lieux règne une certaine pesanteur. On ne constate pas réellement déchanges et de lien entre les générations. Dautres au contraire, sont beaucoup plus conviviaux, quand ces rencontres sinscrivent maintenant dans une tradition indépendamment du caractère événementiel du carnaval. Par exemple les repas préparés par les familles suivant les habitudes culinaires des différentes cultures.
" Je crois que ça manque, les passages, léchange, les gens des autres pays qui viennent cest ça aussi, on amène quelque chose qui nest pas ici. Les ateliers cuisines sont par exemple loccasion de dire ce qui se passe chez les autres. Ils ont été créés pour amener les mères au centre de la discussion mais aussi aux centres de quartier et petit à petit tu commences à parler de pommes de terre et des oignons après on est entrain de parler de sexe, après on est entrain de parler de religion, ça amène, ça bouge et puis je laisse les choses et il sort des trucs, elles parlent, japprends beaucoup. Ça cest riche, ça donne aux gens, mères, pères, enfants, jeunes, peu importe, ça donne la possibilité de réfléchir sur autre chose, cest ça qui manque, il manque aussi ces contacts de tous les jours. Mais ça reste très ponctuel, ce qui manque peut être cest lesprit, cela risque de devenir trop cadré ". (Wal - Costumière)
" Cest en discutant avec lartiste africain Doudo NDiaye Rose qui animait les arbres à Palabres quest née lidée de préparation de repas. On sest dit pour avoir les familles, la meilleure façon cest quelles sinvestissent de cette façon et pourront ainsi venir aux débats avec les gamins et tout le monde. Même sils ne prenaient pas la parole ils voyaient déjà quon pouvait la prendre, et cétait une dynamique. Sur un repas de quartier on a besoin que de léquipe, les acteurs, entre des gens qui ne se connaissent pas, se répartissent même en petits groupes, parce que sils vont démarrer des discussions entre eux, les gens vont sy intéresser, vont écouter et ça va essaimer. Aujourdhui il ne faut pas démobiliser les gens, il faut être vigilant pour quil y ait une vraie circulation entre léquipe organisatrice, la population, les artistes venus dailleurs. " (Jacques Pasquier, Les Gamins de la Rue)
Les repas de quartier et les spectacles qui sy déroulent sont en effet un lieu unique de réhabilitation du don et de rencontre entre le cadre premier des formes populaires et le cadre secondaire de latelier. A la fois lieu de rencontre entres les différents participants au carnaval et de représentation pour les artistes et leur travail en atelier, il mérite la même exigence et attention. Ils nont pas limpact événementiel dune manifestation médiatique et pourtant représente un espace de mise en visibilité, de publicisation ou dexposition des processus de latelier-résidence.
Si les ateliers représentent une autre manière denvisager la relation entre population/public et artistes/intervenants, les repas du soir offrent la possibilité de mettre en scène, de scénographier ce lien inédit.
" Ca créé un contact entre le public et le public. Notre jeu le permet facilement. Comme aussi dans un théâtre traditionnel, chaque fois que lon descend dans le public et que lon remonte après, à la fin de la représentation on peut être surpris de voir des gens discuter, cest parce quils étaient côte à côte, les clowns sont venus les ont plus ou moins mis ensemble et donc ça peut créer des choses, une convivialité quon peut retrouver à des niveaux différents, autant entre nous et le public, que le public lui-même. (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
Cest lopportunité pour les artistes dengager des relations qui ne soient ni des relations de travail en atelier, ni de représentation sur une scène officielle. Les occasions en fin de compte sont assez rares pour rencontrer autrement les populations et même les autres artistes intervenants.
" Lobjectif des repas de quartier, cest pour que les gens puissent se rencontrer. Pour nous-mêmes cest aussi loccasion de rencontrer des gens, il faut essayer de plier les barrières, pouvoir discuter avec ces gens, pouvoir aborder ces gens. On passe aussi par la scène pour pouvoir rencontrer les gens, les toucher, quils ne soient pas passifs, quils soient aussi actifs. Cest ça lobjectif, mais nous aussi on y trouve notre compte, le fait de descendre dans le public ça me fait plaisir, de se frotter aux gens. Par exemple lautre jour on a fait une animation, je suis sorti de la salle pour fumer une cigarette, jai retrouvé des gens que je ne connaissais pas, dhabitude on ne se parle pas du tout, du coup cinq jeunes qui étaient là sont venus à côté de moi, on a discuté, on parlait, déjà le courant commençait à passer comme si on se connaissait avant ". (Casset, Cie Côté Jardin)
Il se passe parfois des rencontres inédites. Par exemple ce repas de quartier à Florac. Les clowns commencent par créer lambiance et provoquent le rire chez les gens attablés. Jeunes comme vieux semblent pénétrer un espace ouvert à limaginaire loin dune assignation spatiale ou territoriale. Cette capacité à créer un autre espace, à mettre en scène la vie autrement, nous avons pu aussi lobserver dans dautres soirées où même certains adolescents particulièrement renfrognés se prennent à sourire.
" Dans les quartiers des fois il y a des gens qui restent chez eux qui ne voient personne, qui sont là ce soir pour ce repas et qui viennent te dire : "moi ça fait deux ans que je ne suis pas sorti, et ce soir je suis content, jai bien ri, ça fait plaisir, faire participer le public cest quelque chose dimportant, ce nest pas que les enfants qui rigolent parce que quand on dit clown tout de suite on pense aux enfants. Cest un rapport au public, sa réaction nous donne une inspiration. Moi je me rappelle lanimation quon a faite à Bassens le premier jour, quand on est arrivé comme ça, on parlait en Ouolof, eux ils ne comprenaient pas ce que l'on disait et quand on est rentré, on a fait : "oh des blancs et nous on est noir !" et on a vu dans leurs yeux comme si pour eux cétait vrai même si au fond deux ils savent que cest un jeu mais ils se prêtent quand même à ça, ils se laissent aller et quand on touchait les cheveux on sentait quils étaient vraiment contents, ça leur fait du bien et après, ils te disent, cétait vraiment bien, je me suis senti bien dans ce que vous faites ". (Marianne, Cie Côté Jardin)
Les clowns occupent un petit espace devenu scène improvisée. " Je mappelle dada 1er, je suis le roi de la propreté. Je viens dun grand sommet des pays les plus propres au monde mais il n'y avait pas le roi de votre pays, je ne sais pas pourquoi ! Je vais recruter des soldats et nous allons nettoyer Florac ".
" Il y a tout le temps une réaction parce, on a va vers le public, cest une forme qui crée aussi une convivialité, qui efface aussi un peu le fossé quil y a entre la scène et le public on sent aussi en allant vers le public, que le public aime ça, il attend ça et il sexprime aussi quelque part. Il répond au dialogue que lon instaure tout de suite, ils sont autant sur la scène que nous qui sommes sensés être sur la scène. On les met aussi en situation de jeu et ça cest quelque chose que tous les publics apprécient particulièrement, se sont des moments où lon ne sait plus qui joue et qui ne joue pas, ils sont aussi joueurs. Les pièces sont conçues de telle manière quils sont perpétuellement dans la pièce même. Chacun prend position pour tel ou tel personnage ou pour la situation globale et cest ça je crois qui déclenche la réflexion, ce nest pas quelque chose quils consomment pour quils partent après. Ce nest pas simplement un jeu de clown, nos personnages sont très situationnistes. Cest cette espèce de déclic un peu que lon recherche, après les commentaires et les réactions sont très poussées.". (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
Une rencontre surprenante comme il ne peut en exister que dans ces moments informels. Les clowns invitent alors un spectateur de lassemblée à venir jouer avec eux. Pris au hasard il savère être un danseur de la compagnie Révolution qui animera la seconde partie de la soirée. A son habit, les clowns le prennent pour un rappeur : " Mais cest un rappeur ? Il nest pas sale ! Que sais-tu faire à part rapper ?" - " je sais danser ! ".
Il sensuit un échange rythmique entre clown et danseur hip-hop. Les genres et les styles se mélangent pour le plus grand plaisir du public. Une rencontre sest produite à plusieurs niveau, entre artistes et " public ", entre artistes entre eux. Une manière de briser quelques codes artistiques et rituels culturels pour souvrir sur une palette de positionnements, de démarches, de questionnements.
" Il y a toujours des règles à respecter, des trucs à ne pas faire, à ne pas dire, tenir compte de la manière de shabiller, de parler avec les gens, de se comporter, il y a trop de règles, tu es obligé à chaque fois de faire attention pour ne pas choquer la société ou choquer quelquun . Le seul moment où je ne me sens pas vraiment coincé par les lois de la société cest quand je suis sur scène ou bien avec les gamins " (Casset, Cie Côté Jardin)
De latelier à la scène publique souvre un espace ouvert entre univers culturel et artistique. Le simple lieu du repas devient espace spectaculaire et événementiel accessible à tous. Un autre lieu du spectacle et de la culture où les odeurs de la vie ne sont pas exclues.
La soirée se poursuit ensuite par la danse. Hamid de la Cie Révolution rappelle limportance du respect devant un public principalement composé de jeunes. Un groupe de jeunes filles de Florac présente une chorégraphie issue de leur travail, une de leur première expérience de " scène ". Les performances individuelles des danseurs de la compagnie alternent avec les démonstrations des jeunes. Certains à peine plus haut de 10 ans nhésitent pas à entrer dans la danse. La soirée se termine par une animation D.J. où les garçons plutôt en retrait finissent par entrer dans la fête.
Latelier-résidence se place ainsi au centre dun espace triangulaire dessiné par les trois pôles de la rue, de latelier et de la scène : à la fois espace de vie, espace de travail et espace de représentation. Dans le même temps il nous apprend que la vie est une mise en scène, et la scène une manière différente dimaginer sa vie, que lart ne peut être séparé de cette vie qui met en mouvement les formes.
" Dans le travail que lon fait cest essentiel davoir un sens de lobservation, et de pouvoir regarder des choses qui nous entourent comme ça pour pouvoir les réutiliser. On a directement une ligne qui va de la rue à nos spectacles ". (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
Nous avons vu que latelier-résidence comme mode de connaissance, mettait à jour un certain nombre de choses. Il nous offre la possibilité de décrire avec une plus grande finesse un ensemble de relations humaines à travers des cadres, des processus, des mouvements, des matériaux, des formes. Nous nous sommes alors concentrés sur lactivité littérale (travail premier) après la bordure par laquelle on la décrit (la scène de latelier).
Latelier ne décrit pas simplement une confrontation avec la matière mais aussi lespace qui se crée autour, le choix de vie quil rend possible. Parce quil est en soi un univers, latelier nous éclaire sur le monde. Il ny a donc pas despace consacré pour latelier, c'est-à-dire entériné par un usage, un discours, une reconnaissance publique ou encore ratifié par une institution du monde du social ou de la culture. Que lactivité se déroule dans un lieu public ou privé, dans la rue ou dans une structure, latelier consacre un espace dans un rapport particulier au travail.
Dans cette rencontre si particulière entre sphère sociale et artistique latelier-résidence est au creux de tensions, entre la prise en compte dune forme populaire et lexigence artistique. Il est à la fois latelier de lartiste, le lieu où saccomplit une alchimie particulière à lécart du monde et le lieu dune éducation populaire, une université généraliste de la vie.
Que peut-on évaluer à la sortie des ateliers-résidences ? Certes il y a une production, un produit fini consécutif à lévénement, le carnaval. En posant un repère, cette visibilité de la production est importante aussi bien pour les participants des ateliers que pour les artistes.
Mais nous devinons que ce qui nest pas visible ou moins accessible, ce qui sest passé dans ce travail et continuera à évoluer suite à ce travail est encore plus fondamental. Autrement dit, la seule évaluation possible de latelier se situe dans le mouvement même qui lanime. Cest un continuum dépassant le clivage entre amateur et professionnel où se crée une dynamique de formation et dexpérimentation
La résidence en elle-même, par laura et la direction artistique quelle sous-entend répond à un élan social dont latelier est lespace. De même latelier libère une vision esthétique, un rapport sensible au monde. Ce que nous pourrions appeler créativité. Elle ne développe pas nécessairement une forme " artistique " mais une forme en maturation qui ouvre un champ de possibilités, un imaginaire.
Non seulement cest dans un continuum mais aussi dans une totalité propre à une forme populaire quil sagit de comprendre le travail en atelier. Ce travail se présente comme un champ expérientiel en perpétuel redéfinition où lexpérience en elle-même est source de connaissance et de reconnaissance. Sil y a " uvre de création ", elle est dabord existentielle et ne peut devenir artistique sans cette condition première.
Expérimentation pour les participants
Les artistes font une première évaluation à chaud de ce mouvement. Ils nous parlent de ces ouvertures ou rêves. Lespace de latelier a créé des liens inédits, un espace en soi autour dun certain rapport au travail. Cétait aussi un défi de se confronter ainsi à une matière consistante, aller jusquau bout dun projet. Le travail en atelier a suscité des déclics, des motivations et des émulations quil ne faut pas frustrer. Tous soulignent la nécessité dinscrire ce travail dans la durée et trouver les bons relais pour le faire.
" Cest une découverte pour les jeunes, non seulement cest une découverte du moment, mais ça leur sert dans le temps, ceux qui sont sensibles à ce qui se passe dans ces ateliers même dix ans après, vingt ans après ils peuvent se souvenir dune parcelle, dun geste quun artiste a fait un jour devant lui, rien que pour ça cest dun intérêt primordial quon a envers ces jeunes qui ont tout le bagage pour affronter la vie mais les astuces leur manquent, nous passons pour au moins leur donner la chance de rêver " (Nabisco, plasticien)
" Je sens que pour certains il suffirait de pas grand chose pour quils soient bon artisan ou bon artiste ou autre chose encore, je les ai vus sous cet aspect plastique donc je parle de ça, ils ont ni plus, ni moins de qualité que les autres, ils en ont autant bien sûr " (Jacques Franceschini, plasticien)
" On trouve des gamins qui sont intéressés, et hyper intéressants dailleurs. Chez certains je sens que ça a suscité une certaine curiosité ou une certaine passion. Certains ont entamé un véritable rapport au cirque et ont envie de continuer. Jai peur que certains gamins aient un sentiment de frustration quils aient fait quelque chose sans pouvoir aller jusquau bout, bien que nous disions dessayer de continuer à faire ça dans le centre, cest tout ce quon peut dire ". (Casset, Cie Côté Jardin)
" On a juste suscité des envies ou créé des débuts de motivation mais techniquement notre rôle sarrête là. Maintenant pour le suivi cest une démarche personnelle autant de lenfant que dans le cadre dans lequel il évolue. Ce serait dommage quil ny ait plus de suite. Là, cest peut être très frustrant pour eux. On efface tout et on recommence autre chose, ou on attend lannée prochaine, est ce que tout le temps cette idée de carnaval, de travail, dartiste, quils ont pu faire aujourdhui, est ce que les parents vont le soutenir, est ce que les structures vont le continuer, pourquoi faire les choses si elles doivent être ponctuelles et après terminé. Mon interrogation sera : où est lintérêt de toute cette débauche dénergie et de moyens si après ça doit retomber dans les oubliettes. Parce quil y a vraiment un réel besoin des enfants, qui est vrai, qui nest pas opportuniste, juste un besoin réel de sexprimer et en plus avec un talent pour le faire. Ils présentent beaucoup de dispositions, non pour faire ce métier là mais sexprimer dans ce corps dexpression. Ils se sont connus, ils ont communiqué entre eux, et cest allé au-delà même du travail datelier ". (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
" Je nai pas vu ici de professeur diriger les élèves mais ce que jai vu cest que les élèves avaient apprécié énormément le travail et cétaient engagés énormément dans la répétition, jai vu quils avaient travaillé sérieusement. Jai remarqué que la majorité était apte à jouer de la musique, avait la volonté, lenvie. Jamais personne nest né pour être musicien, cest lintérêt, celui qui comprend la musique qui est sensibilisé sera plus apte à être musicien ou a essayer de le devenir. Jai remarqué ici bien sûr en fonction des endroits le niveau nest pas pareil. Mais cest surtout que lintérêt quont porté les élèves à ce travail et ça ma énormément surpris, la facilité de compréhension au niveau de retranscrire cette musique " (A. Castillo Penalver, Banda de Santiago de Cuba)
" Tout était posé à la base, on sest retrouvé chaque danseur de la Cie séparément dans des structures, on a commencé à faire des ateliers. Ils sont vraiment attentifs, on avait peur, il y avait beaucoup de jeunes pour qui quatre heures cétait long, quatre heures de répétition, pendant un mois sinvestir comme ça, ils ont pris un engagement qui est un défi personnel. Si un jour ils veulent arriver à un niveau professionnel, ils seront obligés de passer par-là. A travers la culture ils savent que si au niveau du mouvement ils peuvent avoir un certain feeling ou sentir quils ont une passion et quils ont des qualités pour avancer là-dedans ils vont saccrocher. Il y a des jeunes qui vont se prendre en mains et qui vont décider de constituer des groupes, il y en a dautres ce sera juste un passage comme ça, ils auront appris certaines choses qui vont les aider dans la vie. Au moins quand on se verra et quon se rencontrera sur Bordeaux on sait quon aura vécu quelque chose tous ensemble, on est là pour se soutenir même si on n'a pas vraiment les moyens. Ils ont travaillé et maintenant arrêté ce travail là, ce nest pas bon. On sent quà cet âge là ils sont susceptibles et cest important de continuer un petit peu à les entourer, les emmener un peu plus loin et quà la suite de ça eux-mêmes se prennent en charge ". (Hamid - Cie Révolution)
Expérimentation pour les artistes
Même si la plupart des artistes avaient déjà réalisé des ateliers de ce genre, la préparation du carnaval a constitué une expérience nouvelle. Cest dune autre manière un défi à relever dans le maintien dune double exigence : à la fois transmettre avec un souci pédagogique mais aussi maintenir une cohérence dans un parcours artistique sans laquelle cette transmission naurait pas de sens ; à la fois prendre en compte lenvironnement social tout en maintenant dans le travail un haut niveau dexigence professionnelle. Outre la reconnaissance de leur travail que peut procurer lévénement, il sagit de continuer une recherche. Tout en étant éphémère la production sinscrit dans une continuité. Cette continuité pourrait se traduire de différentes façons : à travers le lieu de travail ouvert par le carnaval (le Container), la poursuite dun projet collectif au niveau régional, la modélisation et la diffusion de ce type dexpérience dans dautres cadres, régions ou pays.
" Je suis capable de moccuper de certaines choses, je travaille relativement rapidement. Que certaines de mes sculptures après le carnaval soient démolies ou quelles traînent dehors pour quon les approche, je suis tout à fait daccord avec ça Si je venais travailler au Container, peut être que je serais quen solo, peut être que je serais avec dautres enfants si eux ils ont besoin, mais je travaillerais en solo pour ma propre démarche. Jaimerais bien rester dans ce lieu, ça cest le problème de tous les artistes qui font de la sculpture, comment se payer des immenses lieux si tu nes pas lartiste subventionné de la ville, il y a très peu de gens même dans les gens connus nationalement, en échange janimerais quelque chose gratuitement en contre partie de mon hébergement gratuit ici (Jacques Franceschini, plasticien)
" Le carnaval offre un support médiatique, beaucoup de passage de particuliers ou de professionnels, ça va aider à faire en sorte que les gens voient que quelque part cest assez professionnel et pas une improvisation. Ca va maider pour après, surtout que je suis ici que depuis lété dernier, mon premier contact concret et solide ça été Musiques de Nuit, cest beaucoup en même temps et cest juste ce quil faut pour pouvoir lancer pas mal de choses ". (Blade, graffiti-artist)
" Ca donne beaucoup didées, par rapport à la manifestation elle-même, tout en gardant lidée que nous navons pas les mêmes moyens de réalisation, nous vivons aussi une réalité, essayer ces idées là, de les partager et davoir espoir de pouvoir les réaliser un jour ". (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
" Pour laprès carnaval chacun tirera profit de lexpérience à sa façon : lorganisateur dans la capacité à réunir tout le monde, la masse populaire de Bordeaux dans le fait de regarder quelque chose qui plaît, ça donne une ouverture à lâme, quant à nous artistes, chacun a libre cours de sinspirer de tout ce qui sest passé ici, pour améliorer, son acte, son geste dans son champ plastique ". (Nabisco, plasticien)
" Le carnaval de Bordeaux, cest ici, il est différent du carnaval de Rio, qui ne mintéresse pas du tout franchement, de celui de Nice, de Venise qui sont faits pour que les gens se montrent, je ne crois pas que cest vraiment lintérêt, moi je suis contre ce type de chose, cest pas ça. Le carnaval de Santiago de Cuba par exemple, parce que cest populaire, cest la fête tout le monde ensemble, parce quon peut amener un savoir-faire quon a dune couture. Maintenant je vois comment lart il est tellement tributaire des conditions techniques que lon a, au Brésil on a une industrie hyper légère, cest lindustrie du carnaval ". (Wal - Costumière)
" On se dit, on a commencé un travail datelier de parade, on espère pouvoir lexploiter, le refaire, recommencer lopération dici une, deux, trois années et puis faire le point et voir comment va évoluer lécriture chorégraphique, les traces au niveau des jeunes, leur évolution, ce nest pas quelque chose que lon construit pour couper ensuite le cordon. On va continuer à le faire mûrir en essayant demmener une quarante de jeunes qui soient assez mûrs et posés un niveau de sélection, cest vrai quon ne peut pas emmener cent personnes, ça demande trop de moyens, emmener une partie en tournée lété, faire vivre ce que nous on a vécu quand on était parti avec des chorégraphes, dautres artistes quils puissent sinvestir en rencontrant dautres jeunes qui pratiquent la même chose. Sur une chorégraphie qui avance sur l km 5, stratégiquement ce qui était important cétait de pouvoir jouer dans des gros festivals où il y a plusieurs artistes de cultures différentes, quon puisse voir du théâtre, des claquettes ou de la danse classique. On sest bloqué quinze jours pour ne pas que ça devienne de lexploitation quon fasse tourner les jeunes comme ça, mais faire cinq, six spectacles quils aient encore une plus grande expérience et formation. Ils vont créer des liens entre eux et on leur donne la possibilité que eux-mêmes forment leur groupe par rapport à cette parade " (Hamid - Cie Révolution)
La richesse de latelier est de travailler dans ce continuum, seule manière à notre sens de dépasser cette contradiction entre la volonté de tirer lenvironnement social vers la haut et linévitable sélection quimplique lexigence du travail. Comment à la fois prendre en compte un ensemble, ne pas décrocher de la base tout en cherchant la qualité et lexcellence ?
Trop cadré sur une technique, l'enseignement de la forme prime sur un rapport au travail et un rapport au monde ; nous tombons dans lacadémisme au détriment de lesprit de recherche. Trop lâche, le lien de réciprocité se dilue dans un passe-temps ludique.
Il ne sagit pas de se couvrir des oripeaux de lAcadémie ni de meubler joliment le temps mais dagir sur lexistence, retrouver une totalité cohérente, réaliser lentièreté de sa vie à lintérieur du monde.
Bien souvent est faite la confusion entre le sens et la fonction surtout à une époque où toute activité doit démontrer sa raison utilitaire. Latelier occupe-t-il nécessairement une fonction précise ? Il nest pas là pour remplacer lécole, le conservatoire ou lentreprise. Il ouvre par contre lespace pour une démarche entrepreneuriale individuelle et collective.
La cohérence densemble se situe dans un équilibre, une tension dynamique entre des domaines apparemment en opposition comme le travail de développent social et les rencontres artistiques, éducation populaire et laccompagnement démergence culturelle, politique généraliste et la création de lieux culturels, etc.
Il est alors de la responsabilité des acteurs uvrant dans leur champ de compétence social ou artistique daccompagner cette évolution. Encore faut-il les voir et les reconnaître. Le carnaval a représenté pour une part limmense scène dune mise en visibilité du travail en atelier-résidence mais est-ce suffisant ? Il nest pas sûr que tous les processus sous-jacents à ce travail soient reconnus, car la plupart napparaissent pas dans un cadre événement mais dans la durée du développement dune forme.
Défendre lidée dune prise en compte des formes populaires ne conduit pas obligatoirement à lidée de vouloir toucher dans un même temps le maximum de personnes. Paradoxalement, lexigence et donc la sélectivité quimplique latelier-résidence peut constituer la meilleure garantie du développement dune forme par effet de contagion autour de pôles artistiques ou esthétiques. A condition que cette exigence soit secondée dun travail daccompagnement, de médiation et de sensibilisation.
" En se mettant à plusieurs, on peut envoyer avant sur le terrain des gens du carnaval qui vont passer du temps avec les gens qui vont venir ici, pour leur donner la philosophie de laction, pour les motiver à ce quils vont faire, cest ce boulot là quil faut quon amplifie, cest un travail de fond, on a les moyens de monter des actions maintenant il faut quon amplifie ces moyens pour faire un travail de fond, de motivation et les gens sont prêts à ça, jai dit les gens, pas seulement les artistes, les gens, ils demandent ça, on est dans lair du temps, le feeling il est là, il nest pas à trouver le groupe qui va faire le meilleur disque, qui va taper au top 50, il est à connecter les gens qui vont dans ce sens là entre eux. Ca doit être transversal, recouper les formes esthétiques, politiques, les actions sociales, les associations de quartier, les petits projets, les grands mouvements. Je crois quil faut travailler en amont plus profondément justement ces rapports de transversalité et les projets artistiques en gardant ce rapport : des créations à partir démergence, la sensibilisation et le côté lié au mouvement populaire, les échanges. Prendre du temps pour léchange en même temps quon prend du temps pour cultiver lacte esthétique, pour léchange de techniques artistiques. Cest ça qui est intéressant dans Musiques de Nuit et qui a permis de développer cette transversalité qui est nécessaire surtout dans un carnaval où tout est art, peut être quil faut quon trouve une manière de fonctionner sur la préparation, sur les projets esthétiques, et sur des manières davoir des interactions " (Jacques Pasquier, Les Gamins de la Rue)
Ce travail de médiation correspond à une volonté politique, ce nest pas simplement une réponse technique. Sinon ce serait créer un dispositif de plus, alourdissant un maillage institutionnel déjà conséquent.
Les formes populaires constituent déjà en elles-mêmes une force médiatrice aussi bien au niveau individuel et inter-individuel que sur le plan collectif dun espace socioculturel plus vaste. Elle canalise les énergies par sa force esthétique et se propage par contagion autour de pôles de création artistique. Il ne sagit pas de rajouter quelque chose mais de favoriser ce rôle.
Nous pouvons par exemple repérer ce mouvement à travers le développement de la forme hip-hop en région aquitaine
" Le mouvement hip-hop cest une chaîne qui monte, tout le monde se réunit et tout le monde est en train de construire lhistoire, là où il habite. Sil y a une personne qui est à Nantes ou une personne qui est dans le sud à Marseille, elle construit son histoire et puis un jour ça va se réunir et les meilleurs se retrouvent. Tout le monde se connaît, que ce soit dans le milieu de la danse, dans le milieu du graff, ou du chant, on se reconnaît au niveau régional, on se reconnaît au niveau national, on se reconnaît au niveau international, on rencontre les Américains, les Japonais, on voit quon a le même langage, la même culture, il ny a même pas besoin de savoir parler la langue, on communique avec la danse, on communique avec ce que lon sait faire et ça je trouve ça magique, formidable ". (Hamid - Cie Révolution)
La Cie Révolution était la seule représentante de la danse hip-hop dans le Sud-Ouest mais son travail risque denclencher une dynamique qui fasse boule de neige et constitue un noyau de jeunes en voie de professionnalisation, du moins dans un processus relevant dune exigence autre que lanimation socioculturelle. Dautant plus que, sagissant du hip-hop, il est nécessaire de prendre en compte aussi une échelle de développement national sinon international et les interactions que cela peut provoquer entre projets de différentes régions. Le développement régional ne peut se concevoir quà ce niveau de cohérence.
La visibilité et le caractère exemplaire du hip-hop conduit souvent à le prendre pour exemple. Il ne sagit pas de limiter la réflexion à un seul champ esthétique mais de comprendre cette dynamique des formes. La forme possède une consistance dans lespace. Cest un élément objectif, indépendant de la subjectivité de lindividu et de la fluidité de ses sentiments. Elle possède une prégnance dans le temps qui traverse les strates de lhistoire. Par sa force et sa cohérence une forme crée donc son propre système de médiation.
Trop rigide la forme réduit la vie en chose, elle nie toute affirmation subjective de lindividu. Trop souple, lindividu qui a besoin de se confronter à elle ne peut se construire. Le travail des opérateurs culturels et sociaux est au creux de ce paradoxe, il " fracture " des cadres constitués pour mieux en construire dautres. Le travail qui sy déroule ouvre un espace de liberté alors quil se définit par une contrainte, une confrontation avec la matière.
Poids des formes et choc des esthétiques
" La culture, quand ça émerge cest une richesse et après ça ne peut devenir quun carcan " (Jacques Franceschini, plasticien)
Une culture nest que populaire mais devient vite culture cultivée et formalisée même si elle garde ses attributs populaires. Le principe de rencontres artistes est une manière dimpulser un mouvement circulatoire dune confrontation entre les disciplines, les mouvements artistiques et les formes culturelles. La mise en confrontation positive des esthétiques permet de prévenir les risques de folklorisation, de marchandisation et plus généralement de rigidification dune forme, bref, le conformisme.
Lors du carnaval, à coté des formations musicales (chars banda de cuba, ska, style band, ), du théâtre et cirque de rue, des défilés costumiers issus des ateliers, la décoration plastique des chars par les artistes (fresques et sculptures), deux parades ont marqué leur passage aussi bien en terme de présence que de public : la parade hip-hop et la parade techno.
Ce nest sûrement pas un hasard si les deux formations ont employé le terme " parade " pour se présenter dans le défilé. A lorigine parader veut dire, retenir lattention. Au début statique, il sagissait devant un théâtre de capter le flux du public, la parade se mit à bouger avec le cirque pour emmener, par contagion physique, son public.
Un point remarquable, elles ont constitué lune comme lautre deux blocs compacts aux esthétiques différentiées, lune en début, lautre en fin de cortège. Comme si, en tant que formes structurées, elles venaient consolider le cortège. Ce qui soulignerait en creux un ventre mou, entre les deux une absence de consistance ? La question renvoie à débat uniquement en terme desthétique sans prendre en compte les modes de structuration des formes populaires et la richesse que constitue cette expérience. Doit-on chercher un produit finalisé, bien léché, unifié, lissé esthétiquement sous la main dun grand chef dorchestre ou prendre le risque de montrer un travail en devenir dans son imperfection et son inachèvement reflet de la disparité des engagements ? Répondre ainsi à la question serait aller vers un compromis dans un sens ou un autre. Moins quune équation à résoudre, il sagirait plus dun équilibre à tenir entre force esthétique et liesse populaire, visibilité dans lexposition dune forme et processus souterrain sous-tendant sa maturation.
La diversité et louverture esthétiques qui a caractérisé le carnaval a-t-il permis une rencontre entre les publics et une confrontation entre les formes ? En partie semble-t-il sachant quune juxtaposition est inhérente au principe du défilé. Il y a dailleurs cette ambiguïté de la définition même du défilé où la population est spectatrice sur le trottoir dun spectacle qui lui est proposé dans la rue. Une contradiction avec la notion de fête populaire, le sentiment dunité collective qui voudrait briser toutes séparations entre acteurs-publics-populations.
La nature des deux parades était en cela bien différente. Pour le hip-hop il sagissait dune déambulation chorégraphique, un schéma narratif très codifié qui laissait peu de place à limprovisation hormis les moments de free style ou chaque danseur pouvait sexprimer à sa manière mais cela touchait principalement le groupe déjà constitué du défilé. Rien de tel pour la parade techno qui se constituait avant tout sur un mouvement festif débridé. Le public était-il pour autant plus passif pour lune et plus entreprenant pour lautre ou la forme plus codifiée dun côté et plus lâche de lautre ? Peut-être que le public non initié était plus interrogatif ou surpris pour la parade hip-hop car cétait une première à Bordeaux à la différence de la parade techno.
Mais là aussi les apparences sont trompeuses. Il serait facile de mettre les deux formes en opposition. Lune, le hip-hop serait chargé de sens mais conformiste, collective sinon communautaire, adressé principalement à la population des quartiers, porteur dune morale ; lautre, la techno, sans astreinte morale ou sociale dun message, serait composée de jeunes branchés de la classe moyenne furieusement individualistes, à la recherche dune évasion du quotidien.
Il faut sortir " des comparaisons effectuées sur cette base asymétrique : art hip-hop versus événement techno-rave, acteurs hip-hop versus participant-raver. En tant que vastes nébuleuses culturelles, les mouvances rap et techno possèdent chacune une palette étendue desthétiques (du "soft" au hardcore), et de publics (des jeunes héritiers des quartiers huppés aux chômeurs fils de chômeurs). Le dénominateur commun, cest que pour chacun de ces individus, linscription dans un univers culturel fournit un support pour lexpérimentation du rapport de soi au social, de soi à autrui et de soi à soi; elle fournit une matière symbolique au sein de laquelle chacun emprunte les grands axes et se fraye ses propres passages ".
Entendons effectivement que le hip-hop comme la techno, en tant que forme, font appel à une codification et des rites dinteraction, un rapport de lindividuel au collectif, un imaginaire et des modes de structuration, une diversité esthétique et une recherche artistique. Il est vrai cependant que le type dimplication des formes dans la préparation du carnaval est différent. En privilégiant, dans le cadre précis de notre étude, la dimension datelier-résidence dans les quartiers populaires, nous navons pas été conduit à rencontrer la forme techno. Ce qui ne veut pas dire quelle soit dénuée dimplication sociale par lorigine ou lengagement de ses acteurs et que nous ne soyons pas amenées à la croiser.
" On ne voit pas les acteurs techno dans les quartiers parce quils ne sont pas dans les centres sociaux, ils sont dans les quartiers sensibles ou pas sensibles mais sur des réseaux quà lépoque on appelait underground. Si on remonte aux sources de la techno, au début cétait des travellers qui étaient vraiment en résistance, vivaient dune autre vision du monde, avec une revendication au-delà de la musique qui était très sociale, politique, despace de liberté, de rêve. On a commencé à nous voir apparaître dans les MJC mais uniquement sur la diffusion, dans les concerts, mais on était dans les quartiers, puisquon était des mecs de quartier mais pas dans le maillage institutionnel parce quon avait moins la nécessité financière, on a aussi plus de confort ". (Jacques Pasquier, Les Gamins de la Rue)
Limportance respective des formes hip-hop et techno pousse souvent à les poser en vis-à-vis et les comparer. Mais est-il intéressant ou nécessaire de chercher à les rapprocher ? La dynamique des formes semble se comporter un peu comme le mouvement dattraction des planètes. Pour maintenir léquilibre, un éloignement relatif est nécessaire. Elles ont chacune des zones dinfluence qui peuvent à certain endroit se recouper mais il serait dangereux de réduire un mouvement populaire à une sorte de confrontation duale où ne resterait le choix que dêtre satellisé par lune ou lautre force. Les formes populaires ne se réduisent pas à deux esthétiques. Un cadre événementiel favorise une simplification en terme desthétique facilement lisible plutôt quune prise en compte du mouvement des formes dans leur complexité alors que le travail préparatoire du carnaval ne se résume pas à cela. Tous les propos des artistes viennent ici le confirmer.
Les artistes sinscrivant dailleurs dans ces champs esthétiques ne veulent pas se laisser enfermer dans des phénomènes de modes ou des assignations sociales. Quant aux autres artistes, ils vivraient assez mal de devoir toujours être comparés à ces grands jeux dinfluences soutenus parfois plus ou moins adroitement par les pouvoirs publics.
" En ce moment les institutions mettent de largent parce quils disent que cest une solution, cest un médicament pour une jeunesse malade, il faut leur donner un peu de hip-hop ça va les soigner. Nous on est encore jeune, mais on commence à prendre conscience, à mûrir, on sera toujours là à 40 ans et on prouvera que ça peut créer beaucoup de choses, de la joie et du plaisir, cest ça qui est important " (Hamid - Cie Révolution)
" Après cest un équilibre qui ne doit pas être évident à tenir, pour les danseurs je le vois aussi, il y a une pression marchande, économique, qui est effectivement de vivre, et que cest vrai quil y a beaucoup dargent maintenant insufflé dans les quartiers pour toccuper des jeunes, mais cest plus sous la catégorie, animation, prévention parce que largent il est plutôt là quailleurs, par exemple travailler au niveau culturel où tu pourrais accueillir autrement les jeunes, il faut savoir accepter ou refuser un moment, cest un équilibre quil ne doit pas toujours être évident à tenir ". (Blade, graffiti-artist)
Entre sentiment dappartenance et nécessité dun dépassement, la vie des formes dépend de cette capacité à produire son propre renouvellement. Comme commencement la forme déclare une relation esthétique (réception et jugement) et des processus de mise en sens, mise en lien, mise en forme, mise en scène. Ces processus démergence sont à lorigine dun engagement qui contribue à un dépassement de la forme et par-là même son évolution et son adaptation au monde actuel, bref sa transformation.
Un espace de liberté échappant aux différentes pressions serait nécessaire pour que les artistes puissent jouer pleinement leur rôle, produire de louverture et emmener les publics vers dautres horizons.
" On peut très vite tomber sur un extrême parce quil y a des personnes, comme pour la techno, qui nécoutent que du rap, qui ne sont bloquées que là-dessus, ce nest pas la solution non plus. Mais si on fait un travail à lannée, chacun différemment on peut défendre une autre approche comme jai pu le faire dans des ateliers. On peut travailler sur des thèmes, sur des choses, essayer de leur montrer ce qui se passe à côté, les emmener de temps en temps au musée pour voir telle ou telle chose qui peut nous aider à réaliser telle ou telle chose. Leur montrer tel ou tel autre peintre, leur donner des idées, leur faire voir des formes, des couleurs quils puissent réaliser ensuite avec le graff ou en mélangeant dautres techniques de la moulure, on peut vraiment faire pas mal de choses tout en restant vrai avec ce que lon fait, ce nest pas parce que lon fait du graff quil est interdit de voir ce qui se passe à côté. Il ny a que comme ça que lon peut évoluer, sinon au bout dun moment on tourne en rond et lon est enfermé dans son monde et ça ne va pas ". (Blade, graffiti-artist)
Une réponse est donc un travail dans la durée. Il permet de se prémunir de la pression dune manifestation événementielle où lartiste risque de devenir prestataire sans accomplir une jonction avec une recherche propre à la constitution dune uvre. Cest ce qui est le principe de latelier-résidence (voir chapitre " principe de résidence "). Dautre part limplication de résidence à lannée ou du moins dans un cadre non ponctuel renvoie lidée dune cohérence institutionnelle sur le plan dune politique culturelle obligeant les différents partenaires à se positionner.
" Au départ le carnaval était une commande de linstitution dans le cadre des Programmes Culturels des Quartiers. Musiques de Nuit a rappelé limportance de placer cela dans un investissement réalisé depuis des années dans cet esprit là, où lon ne travaille pas uniquement sur un événement. Lidée était donc défendre lidée dune reconduction annuelle ce qui a été fait mais il faut rappeler que lannée dernière, au mois de décembre on ne savait pas si on faisait ou non le carnaval, si on faisait venir les Africains du Sud ou si on ne les faisait pas venir, au mois de décembre et cest quand même un peu difficile de construire des projets artistiques qui se tiennent, de retenir aussi un certain nombre dencadrements quand tu ne sais pas si ça va avoir lieu ou pas " (Jacques Pasquier, Les Gamins de la Rue)
Rencontres et Interdisciplinarité
Le carnaval dans sa préparation a contribué à des rencontres artistiques mais les impératifs du cadre événementiel limitent leurs portées en terme de synergie. Lintérêt dun regroupement dartistes provenant de différentes régions du monde est de susciter des échanges aussi bien sur le plan culturel (entre formes populaires) quartistique (entre démarches de recherche).
rencontres
Les conditions de préparation, le temps limité, le fait que les artistes pour la plupart interviennent dans des lieux différents et éloignés avec des journées bien remplies rendent les rencontres très difficiles. Ceux qui ont travaillé dans le même espace temps au Container, c'est-à-dire principalement les plasticiens et les costumières, on pu bénéficier dun espace de rencontres.
" On n'a peut-être pas eu loccasion de voir tout le travail que les autres font, peut-être la journée où linauguration, on a vu quand même quelques groupes passer, les Cubains sont passés, les groupes de danseurs, on n'a pas trop discuté mais ils font un travail extraordinaire. Je préfère rester au Container que de retourner où nous logeons, où chacun est dans sa chambre, cest difficile daborder les gens ou bien daller voir les gens de rentrer dans leur chambre et discuter avec eux. Je me sens à laise ici où tout le monde se rencontre et léchange aussi, cest un milieu de travail. La rencontre se fait beaucoup plus ici au Container où je me sens à laise avec tout le monde. Ici les Cubains, les Français qui sont là, finalement je ne sais à qui je parle, cest sympa " (Casset, Cie Côté Jardin)
" Je trouve bien cette possibilité quil y a ici à Bordeaux davoir plusieurs groupes, plusieurs rythmes, pour un latino-américain, pour un brésilien ou pour un cubain quon amène pour travailler sur des costumes de carnaval, cest toujours très difficile pour rentrer dans lhistoire, parce quon a une conception différente du carnaval chez nous mais cest toujours très enrichissant pour les artistes qui viennent parce que cest très large au sens de rythme, de culture, etc. " (Wal - Costumière)
" Il ny a pas eu vraiment de rencontre, pour nous ce nest pas évident, cétait une première, on na pas trop le temps de se concerter sur ce qui se passe autour. Sur une plus longue durée on aurait pu vraiment lier quelque chose et construire une histoire, mettre des musiciens, mettre de la percussion, mettre la banda de Cuba avec des saxos et on aurait pu vraiment changer tout ça, jespère quà lavenir on pourra faire des parades avec dautres rencontres, faire des échanges avec dautres intervenants et dautres cultures, jespère quon pourra intégrer de la percu, la danse africaine, quon puisse insérer dautres styles, mais là on sest dit, on la fait 100% hip-hop, on la garde 100% hip-hop " (Hamid - Cie Révolution)
" On navait pas le temps, on avait trois ateliers par jour et il faut dire que cest éloigné, pour partir dici il faut attendre quon vienne te chercher alors du coup, même après ton atelier tu ne peux pas aller voir ce qui se passe dans les autres ateliers " (Marianne, Cie Côté Jardin)
Si on ne peut pas parler de jeux réciproques dinfluence, parfois la simple co-présence des artistes dans un même lieu peut par contre amener un échange de regard riche denseignement.
" Le fait dêtre en atelier comme ça, travailler mon graff en atelier au Container et être là parmi dautres artistes plus ou moins reconnus dans leur domaine, que ceux qui ne connaissent pas le monde du graff avaient une bonne approche de mon travail et je ne suis pas sûr que si ça navait pas été dans ce cadre là, dans ce milieu là, quils maient plus parlé. Le fait dêtre dans un lieu comme celui-là, ça a permis aux gens déchanger, de venir me voir, de prendre le temps de discuter avec moi " (Blade, graffiti-artist)
" Je remarque chez les graffeurs hormis quelques caricatures, cest beaucoup basé sur le tracé des lettres et limbrication des lettres tout cela est intéressant. Mes bandes se démarquent à un seul petit niveau, moi jétale des formes, des couches abstraites, et labstrait cest un plateau sans indication a priori où chacun puise ce quil entend reconnaître ou ce qui plaît à son cur comme appréciation, tandis que une fois quon signe quelque chose, on invite à une lecture, ça je le remarque beaucoup chez les graffeurs excepté quelques caricatures, mais je dirai que chez moi la texture est un peu plus basée sur lesthétique des arts plastiques, labstrait, je les compose autour de ça. Le support que ce soit le papier, du contre plaqué ou le mur et le médium de la peinture, quoiquils utilisent la bombe quils ont à travers leur pratique laisance de manipuler comme ils lentendent mais ça revient au même donc pour le gros des spectateurs il arrive difficilement à discerner sil ne les voit pas travailler différemment, cest la même tendance, les mêmes expressions sauf par spécificité eux on les appelle graffeurs et nous des peintres ". (Nabisco, plasticien)
travail collectif
Des rencontres culturelles se sont produites. Cependant un travail collectif interdisciplinaire est un projet en soi qui ne résulte pas dune simple mise en relation. Cest aussi une prise de risque artistique dans le sens dune expérimentation collective. A la fois il est important que les formes esthétiques et que le travail des artistes soient reconnus séparément, à la fois il peut être intéressant que quelque chose de nouveau se produise, un espace particulier se crée sans que lon sache vraiment où ce travail nous emmène. Il ne sagit pas dassister à la naissance dun nouveau mouvement artistique mais douvrir la possibilité de poser un regard renouvelé sur les formes et démarches artistiques.
" Je ne suis pas sûr quon a pris vraiment des risques en tant quartiste parce quon arrive chacun avec nos acquis, il y a une sûreté du geste, je ne tâtonne pas beaucoup, jai fait quand même une sacrée production en quelques jours et quon aime ou quon aime pas, il y a une production cohérente " (Jacques Franceschini, plasticien)
Il sest plutôt produit des échanges de bons procédés ce qui nenlève rien à la richesse de ces échanges. Là encore, lunité de lieu et de temps a joué et cest avant tout sous laspect plastique que se sont réalisés ces échanges autour de la décoration des chars du carnaval.
" Ce matin jétais avec les tageurs espagnols pour la décoration de chars ou la banda de Cuba va jouer et cest un char à taguer mais aussi cest un char cubain, donc il fallait mélanger tout ça et jai amené pour décorer un bandeau et mes sacs de paillettes, ils étaient transformés, ils étaient fous de voir les petits trucs. Mettre deux jeunes tagueurs espagnols de San Sébastien pour travailler avec un monsieur qui fait le carnaval à Tropicana et à Santiago de Cuba, cest génial, ça donne de très belles choses et des choses qui sont complètement différentes. Avec les clowns sénégalais aussi ils sont drôles, ils sont géniaux, jai beaucoup aimé leur travail " (Wal - Costumière)
Parfois la rencontre se passe moins bien, en loccurrence quand un groupe musical simplique au dernier moment pour le défilé. Cela pose la question dun travail au préalable, dune sensibilisation réciproque.
" La commande était très floue pour moi, cétait un char Style Bande et un char Ska. Alors le Ska je ne voyais pas trop bien, on ma indiqué que cétait lancêtre du raggae, donc cétait plutôt jaune, vert, rouge, même si elles sont un peu plus pastel mes couleurs. Et puis sur le char Style Bande, je suis très surpris de la réaction des musiciens, jai vraiment travaillé avec tout ce qui pouvait rappeler les instruments de musique du Style Bande, cest-à-dire les bidons, les boîtes de conserve, les dessus des boîtes de conserve découpées, les tambours de machine à laver. Je trouve mon travail bien cohérent et je suis un peu déçu de leur réaction. Je pensais que les musiciens viendraient auparavant, ils ne sont jamais venus, ils ne se rendent pas compte de la place de roi quils ont, mais cest parce quils sont des rois quils ne viennent quau dernier moment, ils ne se rendent pas compte du travail effectué. Je trouve ça très curieux quun artiste soit penché sur son caca, quil ne puisse pas voir que le monde existe à côté, quand on voit un tableau, ce nest pas que le tableau, cest le mur autour, au vingtième siècle cest ça qui est important, ce nest pas lempilage de photos, dobjets ou de trucs les uns à côté des autres, se sont les relations qui peuvent sétablir. " (Jacques Franceschini, plasticien)
Courants dart
Le principe de rencontre ne peut pas être détaché dune sensibilité artistique. Lexemple précédent heureusement nest pas significatif du reste et nous avons pu percevoir une réelle concordance sensible, les propos des artistes le confirment, au-delà des spécificités disciplinaires et approches personnelles sans que ce " feeling " commun ne débouche sur un travail collectif mais ce nétait pas lobjectif de lopération.
" Jai de temps en temps mis la main à la pâte avec Franchesni parce quil fallait peindre tel ou tel truc ou il me posait des petites questions sur le graff ou ceci cela, pareil pour Nabisco, on a eu un échange, on sest fait passer les gamins, ils tournaient un peu dans les différents ateliers. Dans mon expérience personnelle jai eu des rencontres comme ça, des métissages entre deux courants dart comme le graff et la sculpture où jai travaillé sur un travail de sculpture à partir de lettrage, les gamins choisissaient une ou plusieurs lettres, ils faisaient le croquis comme pour un graff et ensuite le réalisaient en volume donc là sculptaient, on retrouve le travail de sculpture et puis modelage. Il y a des métissages possibles mais comme à mon avis ce nétait pas le but principal de laction en tout cas en mettant différents artistes dans un même lieu, quils créent quelque chose ensemble mais quils créent chacun des choses avec des gamins. Peut être par la suite ce sera intéressant parce que sil y a une vie au Container je pense que cest ce quil faudra faire, cest quil y ait métissage entre courant dart que ce soit en peinture ou en musique ou autres " (Blade, graffiti-artist)
Même si nous pouvons dire que cest lensemble du carnaval qui constitue une uvre collective, le mode dintervention des artistes conduit plus à une juxtaposition des approches.
" Le carnaval présente assez de palettes, il y a une rencontre dartistes qui prennent position sur plusieurs bases, nous avons des costumiers, nous avons des soudeurs, nous avons des graffeurs, nous avons des graffistes et partant de cette communion didées et de pratiques, pour moi essentiellement ça menrichit davantage parce que jai la chance de croiser dautres personnes et cela tant par le langage que par les signes. Ce que les plasticiens chacun trace à son niveau, ça minspire et ça ajoute un peu à mon bagage." (Nabisco, plasticien)
" Je crois que cétait plutôt séparé. Cest un problème de temps qui ne favorise pas les échanges et je pense que tous les artistes convergent vers le même sens et ont à peu près les mêmes interrogations, cest vrai il a manqué ça, cet esprit déchanges entre intervenants qui aurait pu déclencher des influences. Cest une belle idée de monter un carnaval qui est une grosse fête païenne et artistique avec les différentes formes quil y aura. Chacun vient avec ses idées et son savoir-faire et cétait un cadre bénéfique pour pouvoir échanger, je crois que cest le temps qui a beaucoup joué. " (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
" Il ny a pas assez de transversalité entre les groupes, on travaille trop par blocs, comme des blocs de carnaval, il faut quon mette plus de transversalité, cest à nous dapprendre à faire ça, on a un problème de circulation, dinformation. " (Jacques Pasquier, Les Gamins de la Rue)
Une réponse complémentaire qui favoriserait léchange entre artistes et le travail interdisciplinaire reste donc un travail dans la durée et lunité de lieu et de temps appuyé par un travail en réseau.
La forme populaire correspond à une certaine manière pour la vie dexister. Elle se révèle dans cette capacité à unir dans une totalité, dans un même mouvement, différents aspects de la vie et ainsi transcender les barrières habituelles posées entre art, culture et social. Action artistique et développement culturel sont donc étroitement mêlés dans des espaces de rencontre ou de vie
Rapport à lespace et au travail
La double exigence populaire et artistique posée en particulier par le travail en atelier-résidence dessine un espace moins " urbain " pas son appartenance territoriale que par sa capacité à créer de la ville, à urbaniser lespace.
Nous pouvons dégager de nouveaux territoires géographiques culturels, symboliques. D'une certaine manière, s'impliquer ainsi dans cette perspective urbaine c'est s'inscrire manière claire dans une politique de la ville qui ne concevrait pas des cultures territorialement spécifiques et inscrirait la mobilité au cur de son action.
Dailleurs, si on envoie un artiste dans un quartier en espérant quil résoudra des problèmes, nous nous apercevons bien vite quil créera au contraire de nouveaux problèmes, soit parce que la greffe ne tient pas, soit parce quelle marche et que les processus entamés échappent à la maîtrise du cadre préalablement posé.
Cest bien évidemment une cohérence globale qui est posée ici. A la cohérence artistique devrait correspondre léquivalent sur le plan de léducation populaire élargi à l'ensemble des pratiques urbaines. Ce nest pas simplement les structures des quartiers qui sont visées. Une forme populaire ne sastreint pas à une relation centre-périphérie et interroge la façon de concevoir la ville et la vie dans son ensemble.
" A propos du centre social, cest bien de sappuyer sur les parents, faire un code de déontologie de fonctionnement dans le lieu parce quil faut gérer le lieu mais il faut ouvrir lespace, il faut ouvrir le lieu. On peut avoir le même discours par rapport à tout lieu quon ouvre, que ce soit un centre social ou le lieu que monte Musiques de Nuit, cest laccueil. La même ouverture que tu reconnais pour les artistes lavoir pour les gens que tu ne considères pas comme artistes, appelés public ou populations, avec les prises de risque que ça implique. Tu vas voir que louverture vers les populations va être différente, tu vas gérer ton lieu différemment et là tu vas voir les émergences, les voir, pas les repérer. Finalement gérer un lieu cest gérer le laisser faire. Même sil y a des règles, parce que ça se gère, parce que lon est dans une société donnée " (Jacques Pasquier, Les Gamins de la Rue)
Il sagit donc de dégager une mobilité et un rapport à lespace autrement que par une catégorisation des lieux et des zones urbaines mais à lintérieur même dun mouvement. Les rencontres et le rapport au travail suscités par le carnaval et sa préparation peuvent ainsi se comprendre comme une mise en lumière de ce mouvement.
Une approche de léducation populaire serait de restituer la présence de lindividu au monde dans une totalité. Il sagit de travailler sur le lien entre lindividuel et le collectif, le particulier et luniversel, léchange culturel et les sphères esthétiques. Interroger un rapport différent au travail et laccompagnement de projets entrepeunarial.
" Peut être léducation de la société ça a ses avantages, mais est ce quelle est faite dans les règles de lart on ne sait pas, disons que cest une chaîne, chaque éducateur a ses défauts et ses qualités aussi et quand il éduque. Mais ce qui est mieux pour lenfant cest de le laisser sexprimer même sil dit des bêtises ou des choses qui ne sont pas bonnes, il faut quil arrive à sextérioriser à dire ce quil pense et ce quil ressent. En faisant du théâtre je donne du plaisir à certains " (Casset, Cie Côté Jardin)
La dimension populaire est aussi remarquable dans le fait que lactivité première du travail est source dun rapport riche au monde et ne se réduit pas à une marchandisation.
" La mise de côté de la réponse politique a permis à une pensée unique de sinstaller. Cest les concepts dacceptation, dinéluctabilité dans lesquels senferment les quartiers dits sensibles ou déshérités : linéluctabilité du tiers monde, du quart monde, que le développement de la société produisait ça et quil fallait laccepter, que la seule manière de sen sortir, pour justement effacer le débat du rapport au travail, mais aussi du rapport au plaisir. Quand je dis que la réhabilitation du don est révolutionnaire, cest par rapport à cette idéologie que tout doit être fait pour laccession au dieu marchandise et à la réussite sociale etc. Le don là-dedans vient casser tout parce que cest un truc de plaisir. Le don contribue à une esthétique et une culture populaire, cest pour ça que cest inacceptable dappeler culture urbaine, parce que cest un rapport qui te renvoie au ghetto géographique, et qui efface tes racines, ton histoire, doù ça vient. " (Jacques Pasquier, Les Gamins de la Rue)
Latelier-résidence constitue en cela un laboratoire naturel de ce que pourrait être un autre rapport au travail, comme confrontation à une matière, exigence méthodologique, accomplissement collectif et développement dun parcours autodidacte.
Rapport culturel du particulier à luniversel
Les artistes posent en cela un précieux repère dans leur rapport au métissage et à la frontière, entre lancrage des origines et la mobilité du voyage, entre un rapport premier au travail et la maturation dun projet artistique.
Les rapports culturels sont soumis bien souvent à une vision binaire. Les particularismes et appartenances culturels seraient soit dissous dans la mondialisation, soit enfermés dans le communautaire sectaire.
Toute affirmation culturelle est souvent vue de manière négative ou restrictive. Cest le cas pour le terme " ethnicisation " appliqué sans précaution ni discernement aux quartiers populaires.
La façon dont se sont déroulés les ateliers du carnaval semblerait prouver que lon peut ouvrir des espaces échappant à cette rhétorique. La manière dont se développent les formes populaires, le principe de mettre en lien des éléments différenciés et hétérogènes dans une totalité cohérente est porteur dun tout autre message : la capacité de lier dans un même mouvement individuation et intégration.
" Je crois quon a été les premiers à faire des échanges internationaux. On doit avoir cette exigence, cest pour ça que je veux que dans les Gamins de la Rue, il y ait une charte, où ce type de scénographie du dispositif, doit être expliqué, on doit sy engager. On tient à faire venir des artistes, des émergences qui sont en relation avec des mouvements populaires, qui sont dans des mouvements de société et que ça va avoir un jeu interactif ici, là-bas chez eux, ça cest important dans leur choix. " (Jacques Pasquier, Les Gamins de la Rue)
" lart cest ça aussi, cest la coopération " (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
Les artistes issus des formes populaires, en particulier ceux du Sud, sont particulièrement bien placés pour mettre ce cheminement entre le particulier et luniversel.
" Le brassage universel, tout doit passer par-là, parce que demeurer stationnaire, aimer son pays, y être né, mourir, cest local, or la mouvance actuelle appelle chacun un peu partout. Forcément on se rencontre et qui dit rencontre de deux individus dit rencontre de deux concepts, de deux facettes de culture, donc si le carnaval réussit à réunir ceux de lAmérique du Sud, ceux de lAfrique, ceux de lEurope, cest déjà un avantage, cest ce plateau ambiant là quun homme conscient, un homme éclairé recherche, on peut tirer beaucoup de choses. En tant quafricain, nous sommes conscients de tout ce qui se dit autour de ça, lhéritage culturel africain est important et primordial, la domination coloniale, ça été un transfert monumental qui a beaucoup pesé tant sur le côté spirituel que sur le côté fonctionnel de la vie. Malgré tout ça, moi je louerai la perfection au niveau de chaque individu, quil soit chinois, européen, africain. A lheure de la rencontre universelle, le brassage universel, il faut que chacun soit capable dexceller dans un domaine donné. Après on parlera de la restitution de cet héritage là. Une fois on requiert le statut de la qualité sur toute chose, la conscience en attestera et il serait grand temps de dire à ceux qui ont osé transplanter, de leur dire mais quand même comment pouvez vous soutenir telle personne si tu las déjà amputée de ses valeurs. Ce moment là viendra mais maintenant tout africain doit se mettre sur les bancs de la perfection, ce nest pas une affaire de politique ou de coloration, cest plutôt un appel nouveau, cette liberté à travers les hommes.(Nabisco, plasticien)
" On veut que cette culture qui est dite née des banlieues devienne une culture universelle. De partout quon puisse sen servir vraiment sans lui donner une mauvaise image, au contraire en la poussant et en lui donnant quelque chose de positif parce quà la base cest quelque chose de positif. Cest une culture qui donne la chance à tous les individus de nimporte quelle couleur, de nimporte quelle nationalité ou religion de se mélanger, de connaître un petit peu le savoir de chacun, cest quelque chose de fort, cest une culture où il ne peut pas y avoir de racisme, ça ne peut pas exister, cest tolérant, cest ouvert, il y a toujours cette notion de respect et dunité, la famille. " (Hamid - Cie Révolution)
" En fait, cest une relecture dune réalité que nous vivons tous les jours, cette symbolique de la saleté sur laquelle nous jouons notre théâtre, elle veut dire autant cette saleté physique que morale aussi bien les rapports denvahisseurs, de maladies qui arrivent dans certains pays qui sont amenés par certains gens, on fait des clins dil sans en parler franchement parce que ce nest pas trop notre propos, mais nous voulons que les enfants en général au sortir du spectacle puissent avoir des pistes de réflexion par rapport à lenvironnement, avec son prochain, se sont des idées que nous voulons faire passer parce quelles sont dactualité, elles sont éternelles et que toutes les mentalités du monde peuvent comprendre, ce nest pas spécialement que nous nous adressons à un public de chez nous, se sont les mêmes réactions que nous pouvons constater chez lenfant africain comme chez lenfant européen. Ce qui veut dire que cest un thème universel qui peut titiller la sensibilité de tout le monde ". (Mokhtar, Cie Côté Jardin)
La compagnie Cotée Jardin est déjà en elle-même une histoire de rencontres. Le fait que de traverser toutes ces qualités, ces défauts, ces différences, donne tout de suite une portée universelle au message.
" Chacun de nous a un clown qui dort en lui il suffit de le réveiller, et nous ce qui fait le charme de Côté Jardin et du groupe, ce qui me plaît beaucoup dans ce groupe, tous les cinq nous venons dun milieu différent, par exemple Marcelle, elle est brésilienne, moi je suis de lethnie Peul du nord du Sénégal, Dada et Patricia du sud, Marianne du milieu, Patricia elle est chrétienne et nous les trois on est musulman cest quelque chose de fabuleux même si ce nest pas toujours facile dêtre ensemble, chacun a la manière dont il est éduqué, ses qualités, ses défauts, ses habitudes mais chacun essaie dapporter sa sensibilité ethnique " (Casset, Cie Côté Jardin)
" Lidéal serait que la vie soit de lart " (Jacques Franceschini, plasticien)
" Définir la chose artistique, cest presque impossible, cest lexpression la plus ancienne de lhumanité parce quil y a deux termes très intéressants en art : le gestuel et le verbe. Une fois quon maîtrise les deux, on peut se dire artiste. Je sais que lhomme depuis quil était nu, il a essayé de faire des signes, il a essayé de faire des verbes, à lissu de ça il a construit le langage, à partir de ça il a eu une écriture, à partir de ça les inventions se sont succédées, peut être demain il y aura dautres manières, dautres manifestes de lart, donc lart est noble depuis le départ, lart cest le tissu qui soutient toutes les facultés de lhomme, pour le satisfaire par lindivision parce que lesthétique cest ça. " (Nabisco, plasticien)
Le référentiel du monde lart
Il est difficile de définir lart en tant quart. Cette définition apparaît dans une relation triangulaire entre uvre, artiste et public. La manière dont sinstaure cette relation, ce que nous appelons référentiel, dépend des époques et des situations.
" Cest la définition de luvre dart, la chose produite, une matière et puis quelquun qui le regarde. Actuellement cest quand même beaucoup plus pervers, parce que sil ny a pas le soutien ou la reconnaissance de linstitution, tu nexistes pas. Linstitution est ce quelle a toujours été, aussi présente, sans doute. A la Renaissance cétait le roi, le prince ou léglise qui donnait les moyens pour le faire, il ny a que depuis le dix-neuvième siècle quil y a lémergence de gens solitaires qui travaillent dans leur coin, qui produisent et qui disent cest une uvre dart ça. Ensuite cest à ces gens de se faire reconnaître par linstitution qui dit oui celui-là cest un artiste ou ce nest pas un artiste, à tord ou à raison. Cest le monde de lart, le petit monde de lart qui est le même à Bordeaux comme dans nimporte quelle ville, qui est aussi pesant, aussi ignorant, qui se prend peut être aussi pour le centre du monde, il y a des endroits ça change, dautres beaucoup plus oppressants, il ny a pas vraiment de règles et puis peut être que moi je ne veux pas être reconnu par ces gens, jai trouvé dautres créneaux qui me permettent de vivre, après tout ce nest pas mal " (Jacques Franceschini, plasticien)
La création dun nouveau référentiel pose la question de notre capacité à juger et apprécier ce qui se produit (ce qui se passe et ce qui émergence) de cette rencontre particulière provoquée par latelier-résidence et plus généralement par la volonté de mettre en cohérence approche artistique et approche sociale.
" Actuellement, nous navons pas le choix de revendiquer des choix esthétiques, il ny a plus de choix, entre les académismes religieux du ministère de la culture et lindustrie artistique. Il y a une espèce duniformisation et le seul terrain où les gens peuvent reconquérir de lesprit critique et avoir du choix, cest le terrain de la pratique, cest la rue. " (Jacques Pasquier, Les Gamins de la Rue)
Décloisonner les références, cest aussi créer cet espace de respiration, se donner le droit de rêver, dimaginer autrement la vie aussi. Comment qualifier par exemple le travail des artistes au sein du carnaval ? Ni création artistique, ni travail social, peut-être travail artistique et création sociale ?
Le développement du travail en atelier conduit à une production. Nous lui préférons à lidée de création quil englobe ou déborde. En effet la production se traduit par laction de " faire exister ". Elle ne se résume pas à un produit fini qui serait la matérialisation dun projet déjà constitué. Latelier produit des relations, des échanges, des espaces qui se diffusent. Il sagirait donc douvrir la possibilité de jouer sur plusieurs référentiels de la rue à la scène et de la scène à la rue.
Rue et opéra
" Il faut quon fasse nos preuves sur scène, il faut quon puisse faire nos preuves dans la rue. Quand on fait un show quelque part dans une gare ou dans un centre commercial, on donne la possibilité de montrer un spectacle à des gens qui niraient jamais acheter un ticket et aller à lopéra pour voir un spectacle. Ce que nous impose les institutions, cest de choisir : ou vous choisissez la rue et vous restez dans la rue, ou vous choisissez lopéra et vous êtes dans les opéras. Mais il ne faut pas se leurrer, nous cest un tout, on vient de la rue, on va sur les scènes, on va partout. Si on me voit demain dans un centre commercial en train de tourner sur la tête, je le ferai proprement, je vais venir avec une tenue de scène, je vais leur montrer un spectacle, leur faire vivre quelque chose dimportant. Ce qui est important cest le plaisir quon fait passer, la joie de voir ces jeunes séclater, se faire plaisir, vivre un moment fort, les gens qui regardent ça ils le ressentent, ça les fait vibrer, cest ça qui est beau dans ce que lon fait dans ce que lon réalise. Ce quil faut, cest ne pas être figé, être statique à un endroit et dêtre prisonnier quand on fait de la scène, on fait de la création. Cest trouver constamment loriginalité, le nouveau style ". (Hamid - Cie Révolution)
Toile et graff
" Ce que je fais sur toile ça na rien à voir avec ce que je fais sur le mur, cest plus personnel, le travail est plus long, le message est plus fort et plus recherché, donc à partir de là javais besoin déléments techniques et de mouvrir sur dautres manières de peindre, prendre le pinceau, mélanger les différentes peintures, mélanger laérosol avec lacrylique, avec lhuile, suivant les effets que javais envie de rendre et suivant ce que je peignais, mais ce nétait pas de la toile, toile, je travaillais sur carton, sur des matériaux assez simples et dès lors le montage de châssis par exemple je monte mes propres toiles, je fais mes propres châssis, je fais de A à Z mes toiles, mes encadrements et tout le reste. En graff sur mur ou autres supports, je travaille beaucoup le lettrage, je suis plus sur le lettrage, je fais rarement des personnages, sur toile cest carrément linverse, il y a quasiment que des scènes, que des personnages, quasiment pas de lettrage. En toile, je compose mes toiles comme un photographe pourrait composer une photo, se sont des expressions de visage, il ny a pas beaucoup de gestuelle, cest surtout sur les visages, les regards. Ca peut être sur une toile pour montrer la solitude ou des choses comme ça, il y a deux, trois images de la même personne sous différents angles, le regard lointain avec un fond. Sur mur, cest plus un travail de graphisme et de recherches de lettres, purement de lettres, plus la lettre est recherchée, plus mon graff est mieux. En graff cest comme un typographe en recherche de lettres ". (Blade, graffiti-artist)
pour danser et pour lâme
" Dans ma recherche que la musique soit populaire ou non, cest léchange avec le public, cest ce que je recherche avant tout, cest cette communion avec le public. Chaque morceau a son message. Chaque morceau a un but déterminé, la chan chan cest pour danser et la petite cantate cest pour lâme, cest un message destiné à lintérieur . " (A. Castillo Penalver, Banda de Santiago de Cuba)
La relation esthétique nest pas propre à lart, elle est propre à la réalisation humaine.
" Moi je reste spécifiquement dans le sens des couleurs et des formes sinon chacun rêve, la plus petite réalisation humaine, dès quelle est réussie, dès quelle véhicule la petite chose, quiconque le voit, il rêve au-delà, ça le véhicule, cest là limportance de lesthétique, ce nest pas consommable comme le riz ou la viande mais ça nourrit lesprit " (Nabisco, plasticien)
multiréférentialité, du troubadour au performeur
Ainsi plusieurs types de relations esthétiques peuvent être mis à jour qui correspondent à autant de référentiels. Trois principaux référentiels peuvent être ainsi discernés, dressant un continuum de laccomplissement humain à luvre artistique : le référentiel de la rue, de latelier et de la scène ou espace urbain, espace de travail, espace de représentation.
Entre la rue et la scène de lopéra, les matériaux urbains et la galerie dart se place lespace de travail de latelier-résidence. Ainsi le carnaval réunit ces trois univers.
" On sait que le carnaval nest pas la vie de tous les jours, dans une ville il ne peut pas y avoir cinquante ou cent carnavals par an, peut être une fois lan ou chaque deux ans, donc cest pour rompre avec la monotonie de la quotidienneté, cest pour apporter un plus tant à la perception, à la chaleur, à latmosphère tout ce qui se déroule communément dans une cité. Le carnaval est très important, cest un haut lieu où un artiste peu safficher et très curieusement toutes les catégories dartistes peuvent sexprimer du troubadour à lexcellent performeur, tout est possible dans le carnaval, par exemple rompre avec le gris, colorer lespace, animer lespace. On dit populaire pour exprimer lensemble mais ça regorge dune qualité exceptionnelle, parce quil me semble que quiconque est là, sil est conscient, donne le meilleur de lui-même, cest de lart au haut niveau parce que cest la rencontre des continents et je loue beaucoup cette force qui nous a réunis " (Nabisco, plasticien)
Louverture dun espace comme le Container permet dinfluencer sur le caractère événementiel dune opération en créant une unité de lieu et de temps, et de manière corollaire ouvrir un premier espace de discussion et de rencontre. Mais il ouvre aussi la possibilité dune réflexion sur les différents référentiels susceptibles de juger lensemble de lopération en mettant en lien les acteurs concernés.
" Si on veut des projets esthétiques forts, il faut quon ait plus de communication et quon y réfléchisse, quon ait des séances de travail plus nombreuses, et que petit à petit on y mêle plus de gens, cest là que je parlerai de transversalité, y compris avec des centres sociaux sans vouloir inviter tout le monde, il y en a qui sont prêts, qui ont envie. Certains centres sont venus là au Container avec les gamins, ils pourraient rester au centre pour faire ce quils ont fait là, ils viennent là parce que cest une affirmation, il faut le prendre en compte. " (Jacques Pasquier, Les Gamins de la Rue)
Nous aimerions ici fermer un cycle de travail autour de lidée de lieu culturel. Le Container a constitué comme nous le soulignions, une unité spatio-temporelle durant la préparation du carnaval.
Ainsi est-il surprenant de voir comment cet immense hangar, ancien lieu de stockage de containers SNCF, paraît aujourdhui si petit et si familier. Ce lieu qui serait au départ quun non lieu, vide de toute rencontre et de toute histoire, devient un lieu repéré sans que lon puisse déterminer à lavance son attribution. Ce nest pas un lieu consacré à lart comme nous pourrions le dire dune galerie dart, dun musée ou dun théâtre. Ce nest pas non plus un lieu de réparation du social dévolu au suivi de populations dites en difficulté, ce nest pas non plus un lieu de proximité dont la mission toucherait une zone géographique déterminée. Cette indétermination, ou cette incertitude renforcée par le caractère éphémère de lévénement et du statut lui-même du lieu ouvre dautant plus le champ du possible.
Le seul objectif du carnaval ne semble pas suffire à déterminer la qualité du lieu, le lieu ne peut se définir que par le travail lui-même qui sy sexerce ou plus précisément, par un certain exercice dun certain rapport au travail et à la matière.
Sa situation symbolique au milieu des deux rives (rives droite et gauche de la Garonne) le place naturellement comme lieu de rencontre. Lindétermination de sa qualification constitue plus une chance quun handicap. Il est ce que les gens en feront et la manière dont ils lhabiteront.
Rapport au public (population ?)
Il offre un espace flexible de travail pour les artistes, un rapport à luvre différent pour les publics, une manière de revenir sur ces aspects de la multiréférentialité qui transcendent les clivages artiste-uvre / public-population. Une manière aussi de dépasser le débat classique entre public et non-public. Le public ne se définissait pas obligatoirement comme spectateur dune uvre, du moins ny avait-il pas la solennité empruntée du lieu consacré bien que la simple exposition ou la performance artistique contribue à consacrer le lieu.
" Jai vu beaucoup de personnes étonnées ou surprises du travail qui avait été fait, rien quen leur montrant lesquisse dun panneau, beaucoup simaginaient limprovisation, partir comme ça sur le mur comme on part en extérieur, ça a remis pour certaines personnes de remettre les pendules à lheure, ça ma permis de recadrer, de leur montrer comment ça fonctionnait et ce nétait pas mal. Ils ont bien pris la chose et étaient très intéressés " (Blade, graffiti-artist)
" Il y a eu des passages, se sont les questions courantes : comment tu fais, quest ce que cest, il y en a dautres aussi qui apprécient, oui, il y a eu ces passages. Il faut être modeste, car nous nous navons quà entrevoir et à projeter, faire et laisser dire, néanmoins il y a eu des intérêts, il y a beaucoup de personnes qui mont demandé " (Nabisco, plasticien)
" Ici cest plutôt très très courtois, jai fait ce genre dexpérience, ce nest pas la première, sur la plage avec des matériaux de récupération, jen ai fait une devant le Colbert où là les gens étaient beaucoup plus, pas agressifs, mais un peu plus intrigués ou je men foutistes, " oui ça ne sert à rien, se sont des conneries tout ça " tout en revenant prendre une photo et suivre le déroulement du travail, alors quici tout le monde est très courtois, cest un lieu qui consacre là aussi, il faut croire que le lieu est quand même lié à la reconnaissance des choses. Les gens Ils reconnaissent que cest de lart, à défaut dêtre une uvre, ils reconnaissent que cest un objet inutile, que cest un objet, comme disent les gosses, "pour faire beau", et tous les gens ils comprennent ça, même sils ne savent pas trop où ça va se situer, sur un char ou dans la décoration du hangar, où si cest pour rester là, ils voient bien que cest un objet dartiste, ils le voient ça. Le petit milieu de lart sait très bien gérer ce genre de chose, le côté événementiel dans les banlieues ou à la base sous-marine à Bordeaux, ce grand cube de béton où il y a des manifestations artistiques, le milieu culturel se sort là-dedans, il y va et cest très bien pour eux là aussi ". (Jacques Franceschini, plasticien)
Une façon peut-être déviter une trop rapide consécration, est de maintenir une approche de laboratoire, l'idée dexpérimentation dans la relation entre résidence et transmission.
Aide aux jeunes artistes
Il peut offrir un lieu de repos et de recomposition pour les jeunes artistes ou compagnies émergentes en offrant les moyens appropriés dun travail professionnel.
Cest vrai que la première fois pour mettre en place un spectacle on a mis deux années, pour notre prochain spectacle on mettra moins. Pour pouvoir aller plus rapidement, il faut avoir tous les outils nécessaires. Cest un tout, on sait que tout doit évoluer en même temps, les stratégies, on se pose des questions, on a réussi à se former au niveau administratif, comptabilité, au niveau gestion de lassociation, de la compagnie, tous les à-côtés. On est en train dapprendre et on continuera à apprendre, cest quà chaque fois on est obligé de se remettre en question : là on se trompe, là on délire, on est parti dans du mime, dans du théâtre, là on est plus en train de danser, là on a oublié des choses de lextérieur on a oublié les costumes, on n'a pas fait trop attention à la musique, on a pas fait attention au décor, il faut penser à tout et être bien organisé, cest un travail déquipe. On nous a donné la chance dêtre sur scène mais il faut quon soit à la hauteur des grandes compagnies, elles sont bien entourées, elles ont toute une équipe administrative qui est derrière et qui pousse à ce que la compagnie soit reconnue au niveau international, on a conscience de cela. On essaie de simplanter sur Bordeaux et davoir un lieu à nous, un endroit où lon puisse faire notre travail de répétition, de création, de transmission au niveau des ateliers, des stages. On espère monter un jour une grande école et qui puisse former les danseurs de demain et qui puissent donner le bagage nécessaire et pousser à ce que les jeunes puissent avoir une formation complète pour arriver à un niveau professionnel. Tous les outils, tout ce qui nous aura manqué sur notre route on leur donne directement parce quà la base, les jeunes ce quils oublient cest que nous on a commencé dans la rue avec personne, avec la télévision, on copiait des mouvements et on essayait de créer notre propre gestuelle. On est encore jeune, aux États-Unis, eux ils se prennent en charge, ils font leurs propres festivals, ici on est beaucoup assisté, on attend après les institutions quelles nous donnent les moyens de le faire, mais beaucoup dinstitutions ne croient pas aux jeunes, elles nont pas confiance." (Hamid - Cie Révolution)
" Lidéal, sils continuent, que le Container soit un lieu de travail où il y ait de la production, un lieu de rencontres où il y ait des artistes en résidence qui passent, qui viennent, donc des artistes plus ou moins permanents pour les événements pour des ateliers, et dautres artistes qui vont et viennent ce serait le schéma idéal et puis la production cest personnel. .Moi techniquement je ne peux pas faire une toile de 2m chez moi, si je peux travailler dans un atelier comme ça ouvert ou pas au public à certaines heures, cest aussi pas mal, montrer quil y a quelquun qui bosse, quil continue avec un atelier, quil continue avec une production, pour retrouver toujours ces trois éléments de travail " (Blade, graffiti-artist)
Le lieu peut donc être celui de laccompagnement artistique régional mais aussi offrir un havre pour dautres artistes nomades.
" Je considère le Container comme un atelier et cet atelier est spécifique parce que nous sommes dans cet environnement, or, lart na aucun interdit, lart peut se produire en plein air, dans une belle demeure, en pleine brousse, tout dépend de ce qui sort du génie de lhomme. Cest déjà un facteur très important, ici, on est abrité, on est isolé du reste, on a du matériel autour et on a le loisir dexercer ce que lon veut faire et travailler à côté dautres artistes. " (Nabisco, plasticien)
Développement culturel et artistique
Le lieu peut offrir une base cohérente dans la durée pour souder entre elles des opérations à caractère événementiel et ainsi offrir un pôle de mobilisation pour dautres types de manifestations.
" A la fois le caractère événementiel met en visibilité des choses intéressantes par les côtés spectaculaires, mais ce nest pas suffisant pour assurer une base sil ny a pas des relais, une cohérence dannée en année par rapport aux manifestations, par rapport aux festivals, par rapport aux carnavals, etc. Cest pour ça quil faut un lieu à lannée. Une des idées quon avait entre Musiques de Nuit et les gamins de la rue, cétait de développer en parallèle au festival de Haute Garonne des ateliers résidences dans ce lieu où des jeunes émergences ou des jeunes par des structures dautres villes qui voudraient passer des séjours dans le cadre datelier résidence puissent venir ici, trouver un lieu dans lequel se déroulent les ateliers. Il faut construire un accueil si on veut un lieu comme ça, qui fonctionne, que ce soit un lieu qui ouvre des espaces et pas un lieu qui soit un nouveau centre social, la coordination artistique des centres sociaux "(Jacques Pasquier, Les Gamins de la Rue)
" Le lieu cest la base de tout. Pour en faire un lieu où il se passe des choses et puis cest un petit peu un repos pendant un moment et puis il se passe à nouveau des choses, tout en sachant que moi je pourrais y travailler et avoir mon propre travail avec dautres " (Jacques Franceschini, plasticien)
Dans tous les cas, catégoriser demblée cet espace serait nous enlever la compréhension des processus qui assistent à lémergence des formes. Si à travers la rencontre entre lart et le social, il éclaire des processus artistiques et sociaux, cest pour mieux nous questionner sur le sens que prennent ces processus dans la société daujourdhui. Il nous interroge sur les modes de production artistique, le rapport au travail, léducation populaire, etc. Il peut être dans ce sens un lieu ressource, à la fois trace historique du développement des formes populaires, vitrine dune expérimentation artistique et pôle de réflexions et de formations pour les acteurs culturels et sociaux.
Sans doute est-ce en considérant dans un même mouvement ces deux dimensions, artistique et sociale, que pourront sélaborer avec les partenaires concernés un nouveau référentiel susceptible dapprécier et de juger ce que représenterait aujourdhui une forme populaire.
Cependant cela nest pas suffisant. Non seulement il est nécessaire de prendre en compte la réalité dans une totalité et pas uniquement sous un unique aspect artistique ou social mais encore faut-il créer des espaces où le croisement des regards et des compétences soit possible. La manière hiérarchique et catégorielle dont est découpée la ville permet rarement de mettre en synergie les actions et les réflexions.
Lévaluation de ce qui contribue à une émergence culturelle, une expression artistique ou à la structuration dune forme populaire nécessite une mise en lien inédite entre les personnes concernées et ne peut se réduire à une juxtaposition dapproche méthodologique ou de courant disciplinaire parce que les paradigmes classiques dans chacun des champs respectifs (art, sociologie, action culturelle, action sociale etc.) ne correspondent plus ou ne suffisent plus à décrire la réalité. Les discours que nous entendons sur le thème de la " fin ", la fin de lart, la fin de lhistoire, la fin du travail, la fin de la ville confirment par la négative notre incapacité à capter le renouvellement des formes
Linstauration dun nouveau référentiel conduit à un espace de reformulation et d'expérimentation où s'exerce un jeu de tensions et de contradictions, où peuvent être posés des enjeux. Nous nous apercevons que lidée de lieu culturel ou datelier-résidence, peut être autre chose quune modalité dintervention artistique. Latelier de résidence peut être également compris comme idéal-type, c'est-à-dire un modèle qui nexiste pas totalement dans la réalité et peut cependant la transformer comme idéal à atteindre. Il peut alors constituer un espace déchange et de reformulation de laction sociale et culturelle.
En guise de conclusion sur le carnaval, nous pourrions dire que lévénement mêle une dimension, la liesse populaire et une intention, un projet articulant direction artistique et transmission (atelier-résidence).
La particularité du carnaval de Bordeaux est peut-être de nêtre ni vraiment institué, ni totalement débridé. Il ne ressemble pas au carnaval du Sud, mais nest pas comparable à celui de Nice. Une originalité quil serait important dapprofondir tient justement à cette implication artistique et sociale à travers la résidence dartistes en atelier.
Cependant, et cest là quintervient la notion dun référentiel à plusieurs entrées, la fête populaire et latelier-résidence nappartiennent pas au même espace-temps.
La liesse ne se décrète pas. Elle issus dun mouvement global, une mise en rythme de la vie, alliant les cycles profonds des formes populaires et la spontanéité de leffervescence.
Latelier-résidence implique une cohérence dans la durée, la rigueur dun travail sur la matière, la présence dartistes engagés développant parallèlement une uvre, et, autour de lespace ouvert par ce travail, une médiation, une sensibilisation et des relais.
Les deux aspects peuvent se croiser à loccasion dun événement mais il serait risqué de chercher une relation directe de cause à effet. Cest à ce croisement que se situe le carnaval de Bordeaux, cest sa richesse mais aussi son ambiguïté.
Vouloir faire de latelier-résidence le ferment dune liesse populaire serait altérer ses principes et réduire sa portée à une animation. La démultiplication des lieux dintervention artistique ne garantit pas un label " populaire " à la manifestation, sauf si lon estime, à linstar de lindustrie culturelle, que populaire veut dire toucher le plus grand nombre de consommateurs ou produire le plus deffet médiatique. Les exigences induites par latelier-résidence impliquent au contraire un resserrement quantitatif et le rapport au temps dun cheminement qui se calcule en années.
A linverse vouloir faire dune effervescence publique le fil conducteur dun projet artistique serait restreindre la relation esthétique au référentiel du monde de lart prenant en compte les formes populaires que sur la surface dune déambulation esthétiquement acceptable et concevable. Aussi profonde et spontanée quune éruption volcanique, la fête populaire ne se soumet pas à la bonne volonté des géologues. Bien quon ne puisse pas la prévenir, elle obéit à des cycles profonds. Lancien carnaval avait su régler ce genre de soulèvement sur le calendrier chrétien lui-même calqué sur des rites bien plus anciens. Il existe un sens plus ou moins mystérieux, profane et sacré, propre au mouvement des formes, quun nouveau type deffervescence carnavalesque pourrait éclairer et canaliser en même temps.
Ici, latelier-résidence peut jouer un rôle dans une mise en visibilité des processus (ce que nous appelions cadre secondaire) en travaillant sur la matière des formes et le rythme de leur vie. Lart nest ni populaire, ni élitiste, mais ce cheminement si singulier des artistes issus des milieux populaires porte en germe cette rencontre possible avec ce mouvement des formes dont la force esthétique réunit les masses. En cela, latelier-résidence peut contribuer au développement des formes. Leurs caractères exemplaires (par le parcours du maître-artiste, lexigence de son travail et la réciprocité du don quil tisse avec dautres) attisent des pôles artistiques dont le rayonnement esthétique ira déclarer dautres foyers. Remarquons que nous parlons ici deffet de contagion. Latelier-résidence nest pas modélisable, on ne peut le reproduire comme un clone, ni en maîtriser les facteurs comme une équation. Il est issu dune rencontre unique. Il peut par contre sappuyer sur la fonction naturellement médiatrice des formes pour ce propager. Les artistes vont là (ou devraient se sentir libre daller là) non pour faire de la culture ou du lien social mais parce que là se trouve un espace de travail et de rencontre possible.
Atelier-résidence et mouvement populaire portent donc leur propre cohérence quil nest peut-être pas souhaitable dunir à tout prix. Mais ces deux cohérences méritent dêtre prises en compte avec attention dans un référentiel à multiples entrées (rue, studio, scène espace public, espace de travail, espace de représentation). Seul ce type de référentiel impliquant tous les acteurs concernés est susceptible daccorder de la valeur à chacune de ces dimensions (principe dévaluation). La réflexion autour de la notion de " lieu culturel " pourrait offrir une base commune à ce référentiel.